Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, voudrait faire de son entreprise une « entreprise métavers ». C’est du moins ce qu’il a affirmé après la publication trimestrielle des résultats de Facebook, en imaginant les prochains objectifs du réseau social le plus utilisé au monde. A quoi fait-il référence ? Qu’est-ce qu’un métavers ? Dans cet article, découvrez pourquoi ce terme est de plus en plus important, et ce qu’il révèle de notre société hyperconnectée.
Qu’est-ce qu’un métavers ?
En 1992 sortait le roman Snow Crash, écrit par Neil Stephenson. Dans son roman, l’auteur imaginait un monde virtuel fictif appelé le métavers. Cela fait donc 29 ans que ce concept existe.
Un métavers – ou metaverse en anglais – désigne un univers virtuel. Il est créé par un programme informatique et permet d’héberger : « une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars ». Dans cet univers virtuel, il est possible de se déplacer, d’interagir avec d’autres avatars et d’entreprendre des actions financières ou économiques. En bref, vivre dans un nouvel univers. En revanche, s’il est possible d’y réaliser des actions de la vie réelle, le degré de proximité de ces univers avec la réalité n’est pas toujours le même. Selon Wikipédia, ce cyberespace peut : “simuler le monde réel ou non. Il peut reproduire les lois physiques du monde réel telles que la gravité, le temps, le climat ou la géographie. Ou au contraire s’affranchir de ces limitations physiques. Les lois humaines peuvent également y être reproduites”. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Si vous le voulez bien, revenons un peu en arrière.
Le terme métavers, créé dans les années 90, est un concept appartenant au sous-genre de la science-fiction cyberpunk. Si cela ne vous dit rien, voici quelques exemples connus d’œuvres qui pourraient vous faire comprendre ce que c’est : Akira, Ghost in the Shell, Total Recall, RoboCop, Blade Runner, Cyberpunk 2077, Trinity… On pourrait simplement résumer le genre cyberpunk à une société qui aurait basé tout son écosystème social et son développement industriel autour de l’informatique, mais cette définition manque peut-être de nuance. La meilleure définition est, selon moi, la suivante : dans sa vidéo “MYTHOLOGICS #9 / BIOSHOCK“, le YouTuber Alt236 décrit le cyberpunk comme : “un imaginaire rempli de méga corporations exerçant une cybersécurité totalitaire, de hackers rebelles, d’androïdes et hologrammes publicitaires dans des villes asphyxiées de néons”.
Le genre cyberpunk a inspiré de nombreuses œuvres, dont un certain nombre de jeux vidéo. Et oui, sans le savoir, nous utilisons déjà des métavers. Le concept d’univers parallèle digital, dans lequel il est possible de se retrouver quelle que soit notre localisation, fait étrangement penser aux jeux vidéo en ligne. Pour évoluer dans ces mondes virtuels, nous contrôlons un avatar, qui est selon le dictionnaire Larousse un “personnage virtuel que l’utilisateur d’un ordinateur choisit pour le représenter graphiquement, dans un jeu électronique ou dans un lieu virtuel de rencontre.”
Petite parenthèse, il faut d’ailleurs souligner que ce n’est pas un hasard si le légendaire film de James Cameron a repris le nom “Avatar”. Le mot a été judicieusement utilisé, car le film sorti en 2009 montre justement comment les êtres humains passent d’un corps à l’autre en gardant leur conscience idiosyncratique. Le même concept s’applique pour les jeux vidéo.
Les jeux vidéo en ligne remplissent toutes les conditions pour être qualifié de métavers. En effet, ils rendent possible :
- la création d’avatar
- la communication avec d’autres joueurs
- les paiements en ligne (qu’on appelle micro-paiements), avec de l’argent réel ou virtuel. Attention, l’argent virtuel n’a rien à voir avec les cryptomonnaies : on parle ici de ressources purement virtuelles, comme peuvent l’être les “Kamas” dans le célèbre jeu francophone Dofus.
Les jeux vidéo sont les premières instances où les métavers sont passés d’un concept fictionnel à la réalité. Dès la démocratisation des minitels et des premiers ordinateurs, le monde commençait progressivement à utiliser, sans le savoir, des métavers.
Quels sont les nouveaux métavers ?
Beaucoup d’œuvres ont démocratisé l’idée des métavers. En 1982, Tron imaginait déjà des joueurs aspirés au sein d’un jeu-vidéo. On peut aussi citer le roman Neuromancer, écrit par William Gibson en 1984, ou Matrix, sorti en salles en 1999. Enfin, pour continuer dans l’univers cinématographique, le film Ready Player One, de Spielberg, met également en scène un monde virtuel appelé l’OASIS. Ces créations, qui comptent parmi les œuvres de science-fiction les plus populaires, veulent montrer comment la digitalisation du monde provoque des changements radicaux, et à quel point cela modifie notre rapport au monde. S’il était possible d’imaginer des disruptions technologiques folles, ces prédictions s’arrêtaient souvent au médium vidéo-ludique, puisque le jeu vidéo semblait alors être l’expérience culturelle ultime : pouvoir interagir, jouer et se représenter virtuellement était déjà un rêve, et il n’était pas facile d’imaginer ce qui allait suivre. Cependant, l’être humain étant en constante évolution, on peut commencer à entrevoir le futur des métavers.
Le développement de nouvelles technologies a rendu possible l’introduction d’accessoires, qui aident à créer une expérience plus crédible en mêlant réel et virtuel. Depuis quelques années, la réalité augmentée et la réalité virtuelle parachèvent cette immersion.¹ Aujourd’hui, ces avancées technologiques nous permettent de quasiment « vivre » le jeu vidéo. Cette idée n’est pas nouvelle, mais un évènement qui nous a fait passer à une autre ère : le concert de Travis Scott en direct sur le jeu Fortnite. Fortnite est un battle royale, un jeu où un certain nombre de joueurs sont envoyés dans une arène ou une carte en même temps, et doivent se battre pour survivre. La dernière personne encore en vie gagne la partie (c’est le principe de la saga Hunger Games). Avec le mode battle royale, ce jeu est devenu très populaire, et a incité les développeurs, distributeurs et constructeurs du monde du jeu vidéo à surfer sur la tendance. Face au succès de Fortnite, Epic Games, qui développe et distribue le jeu, a décidé d’aller plus loin, et c’est ainsi qu’a été organisé le premier concert virtuel sur Fortnite. Le 23 avril 2020, les joueurs ont pu assister gratuitement au concert de l’artiste et rappeur Travis Scott, directement en jeu.
Auparavant, la musique s’achetait en physique, puis elle s’est progressivement dématérialisée dans la dernière décennie. En revanche, les concerts virtuels restaient encore marginaux. Avec 27,7 millions de spectateurs, le concert de Travis Scott prouve que cela s’apprête à changer.² Les métavers offrent des possibilités encore insoupçonnées, tout en simplifiant les contraintes logistiques, et c’est en cela que les métavers séduisent de plus en plus de monde. Ces espaces virtuels n’existent plus simplement dans la fiction : déjà bien ancrés dans nos vies depuis l’apparition du mode multijoueur dans les jeux vidéo, ils se démocratisent maintenant dans l’industrie de la musique. Quelle sera la prochaine étape ? Est-ce que les hologrammes peuvent être associés aux métavers ? Si l’on combine la technologie du direct et l’holographie, on peut réussir à supprimer les barrières géographiques et physiques, afin de se dédoubler, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon en candidature à la présidentielle de 2017. Ces 2 technologies permettent de faire un pont entre la réalité et une autre dimension, ce qui rejoint l’idée du métavers.
Vous êtes constamment connectés à des métavers
Maintenant que vous comprenez et connaissez l’existence des métavers, réfléchissons sur notre époque actuelle. Peut-on considérer les réseaux sociaux, ou plus largement les mondes numériques, comme des métavers ? La réponse à cette question relève d’une interprétation, intime et subjective, mais essayons tout de même de l’étudier avec les critères objectifs que la définition nous donne.
Lorsque nous sommes sur internet, nous utilisons souvent un pseudonyme pour masquer notre identité et nous choisissons un avatar pour communiquer, interagir ou partager des informations. Nous avons le choix de payer en ligne, et tout cela est géré par des programmes informatiques. Dans ce cas de figure, nous possédons un avatar, la plateforme est gérée par des algorithmes et nous pouvons nous y mouvoir comme bon nous semble. Dans les configurations actuelles, il semblerait donc que le numérique soit un métavers. Cependant, cela dépend de si l’on considère qu’un avatar doit être représenté en 3D (et peut se mouvoir de manière similaire à la réalité) dans un métavers ou non. Sur ce point, je vous laisse faire votre avis et considérer votre propre définition.
Posons-nous encore une question : les réseaux sociaux sont une excroissance de nos vies sur des plateformes digitales. Ainsi, peut-on considérer la version numérique de soi-même comme étant soi-même ? Ce problème relève de la philosophie : il n’est pas nouveau, et pourrait se traduire par la question “est-ce que l’autre est moi ?”. Ou bien : “suis-je l’autre ?”. Je pense que si nous ne divulguons pas d’informations personnelles, nous pouvons considérer que notre profil digital est un avatar, une autre personne que nous incarnons. Dans le cas inverse, celui où nous diffusons notre apparence ou nos informations personnelles, notre profil sur les réseaux sociaux ne serait qu’une simple excroissance de notre vie. Pour terminer cette parenthèse philosophique, lorsque l’on parle de digitalisation de la société et qu’on essaye d’imaginer son futur, on ne peut s’empêcher de penser au paradoxe de Fermi. Pour rappel, ce paradoxe peut être résumé ainsi : “S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ?“³ L’une des théories, qui répondrait au paradoxe de Fermi et expliquerait pourquoi les extra-terrestres ne nous ont jamais contacté, reprend le concept de métavers : c’est parce qu’ils se sont enfermés dans des mondes virtuels tellement parfaits qu’en sortir et découvrir autre chose est inintéressant et inutile.
Quel futur pour les métavers ?
Ainsi, si le concept de métavers a été créé dans les années 80, avec le genre cyberpunk, il n’en reste pas moins d’actualité. Avec la digitalisation de la société et les nombreuses évolutions technologiques qui en découlent, il se peut que les métavers finissent, comme dans certaines œuvres cyberpunk, à nous enfermer dans des vies artificielles, trop belles pour revenir à la réalité. Le virtuel a des vertus indiscutables, mais il ne faut pas perdre de vue que rien de tout ça n’est réel. N’oublions pas que la vie est la plus belle des expériences.
Par Alexandre Didier
Cet article est inspiré par No pasarán, le jeu, un livre de Christian Lehmann.
Cet article a été publié pour la première fois le 7 septembre 2021 sur Hypertext, le blog de l’association Plug’n’Play. N’hésitez pas à y faire un tour pour trouver d’autres articles sur le numérique !
Sources
- ¹ Réalité virtuelle et réalité augmentée : quelle différence ? (Futura Sciences, 28 juillet 2021)
- ² Travis Scott sur « Fortnite », Alonzo sur « GTA »… Les concerts jouent le jeu du virtuel, Pascaline Potdevin (Le Monde, 22 juin 2020)
- ³ Paradoxe de Fermi (Wikipédia)