Les élections régionales 2021 en France ont reçu le triste record des élections les plus “boudées” par les Français sous la Vème République avec un taux de participation de 34,36% au second tour. A l’inverse des Américains dont la logistique de vote peut être un véritable casse-tête, entre assesseurs de bureaux à haute responsabilité et les fameuses Winvote capricieuses car mal-entretenues, les bureaux de vote en France courent les rues. Alors, pourquoi ne votons-nous pas, ou plus, lorsque tout est fait pour nous “simplifier” la démarche ? Le malheur des uns, fait le bonheur des autres. Selon certains sociologues, l’apathie politique des masses semble ne pas déplaire à notre gouvernement représentatif qui s’y est accommodé. Sans entrer dans de grands discours inspirés de la sociologie politique qui donne plusieurs explications plausibles à cette abstention record des Français, nombreux sont ceux qui ne comprennent pas les enjeux derrière les élections départementales, régionales, municipales et présidentielles – enfin pour cette dernière, c’est déjà plus clair – alors quand il s’agit de voir plus grand encore, je parle bien des élections européennes, les choses se corsent. Le choix par défaut et inéluctable du Royaume-Uni de voter aux élections européennes parce que les papiers du Brexit n’étaient pas encore finalisés, alors même que leur départ prochainement signifierait plus aucune immixtion dans les discussions européennes, semble d’une telle incohérence que nous nous y perdons ; mais alors, quels sont les enjeux derrière les élections européennes ? Je profite de cette semaine européenne initiée par Diplo’Mates pour me saisir du sujet, même si les prochaines élections ne se feront que dans trois ans.
Par Carole Zheng, rédactrice chez Verbat’em
En 2019, comparativement aux années précédentes, le Parlement européen (abrégé PE dans la suite du texte) s’est concentré sur les électeurs en mettant à leur disposition des ressources pédagogiques et synthétiques pour comprendre ce que fait l’UE et ce pour quoi les Européens votent dans les grandes lignes. Pourtant, le dispositif – combo d’une vidéo publicitaire “Choose your future“, qui met en scène des naissances à travers tout le continent européen, une voix off d’enfant, de la diversité, de l’émotion, du pathos, d’un réseau de 25 000 volontaires à travers l’Europe et une plateforme de gamification – n’a pas été suffisant pour amener les Européens à aller voter. Le défaut de ces campagnes électorales reste inchangé depuis plusieurs années. Pourquoi tant d’abstention ? Parce qu’il manque ce “Je vote pour telle chose“, expliciter ce “telle chose” clairement permet d’identifier les enjeux du vote. Prenons l’exemple de l’élection du président américain Richard Nixon en 1968. Le vote s’est porté sur un enjeu clair qui divisait la population : la fin de la guerre au Vietnam et le retrait des troupes américaines. Les Américains savaient pourquoi ils votaient : étaient-ils pour ou contre cette guerre ? Simple. Alors, pour quoi vote-t-on aux élections européennes ?
L’Union Européenne délimite un territoire et exerce une puissance quasi invisible, chaque jour nous évoluons dans une société qui porte en son sein les décisions prises à l’échelle européenne, pourtant, en avons-nous conscience ? Pour vous situer le PE dans le processus décisionnel européen, il faut parler des autres institutions européennes qui constituent le moteur de l’Union européenne. On retrouve, à l’image du système français, une séparation originale des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire au sein de l’UE. En réalité, compartimenter le système est difficile puisqu’ “aucun organe n’a une fonction exclusive, aucune fonction n’est exercée par un seul organe” (Jean-Marc Sauvé sur le thème de la séparation des pouvoirs à l’UE). Ces fonctions législatives et exécutives sont partagées entre plusieurs institutions dont les compétences sont limitées par les traités communs. Il est préférable de parler de “collaboration fonctionnelle”. Ce système a été la solution pour respecter chaque structure et entité ayant intégré l’Union européenne. L’UE rappelons-le est une union politico-économique de 27 Etats, construite juridiquement à partir des traités fondamentaux de Rome et de Lisbonne. En déléguant l’exercice d’une partie de leurs compétences à des organes communautaires, il est légitime d’accorder aux Etats membres une représentativité forte au sein de l’UE : les Etats et leur gouvernement sont présents au sein du Conseil de l’UE et le Conseil européen, les différentes nations sont représentées au sein du PE et ce qu’on appelle l’intérêt général, est lui représenté par la Commission européenne.
Les élections européennes portent donc sur la composition du PE. Les eurodéputés qui y siègent sont élus par suffrage universel direct tous les 5 ans et le nombre de députés – regroupés par affiliation politique transnationale au sein de groupes politiques – accordé à chaque Etat est proportionnel à sa population, mais toujours compris entre 6 et 96. En résumé, (1) le PE adopte les lois de l’UE avec le Conseil de l’UE – à l’image du Sénat et de l’Assemblée nationale en France, sur base de propositions de la Commissions européenne, (2) prend en charge les pétitions – la voie par laquelle vous demandez au PE d’agir sur un sujet précis – et (3) lance les enquêtes. De fait, le PE établit conjointement avec le Conseil de l’UE le budget européen. Il exerce aussi le rôle de chien de garde du respect de la démocratie sur toutes les institutions de l’UE, en élisant notamment le Président de la Commission européenne et en validant la nomination des commissaires européens. A ce stade, la composition du PE (cf le schéma récapitulatif de la composition du PE) devient un enjeu crucial. D’autant plus que les groupes politiques et les commissions parlementaires ne sont pas les seuls à offrir un espace de débat au PE, on compte également les intergroupes du PE. Ces intergroupes réunis sous des thématiques spécifiques (LGBTI, lutte contre le racisme et diversité, lutte contre la corruption, …) ont pour mission de créer un lien entre le PE et la société civile, on parle souvent de “groupes d’intérêts” et on leur associe l’image des lobbyistes. Le degré d’influence de leur revendication sur les décisions du PE reste tout de même à évaluer. Finalement, derrière la question de la composition du PE et donc du vote, on retrouve une question de stabilité et d’efficacité des prises de décision, à l’image du fait majoritaire en France versus la cohabitation : avoir un Parlement qui est de la même couleur politique que le gouvernement signifie de facto, mêmes idées et même direction données aux lois et donc aux politiques. L’enjeu politique reste le même : qui tapera le plus fort sur la table pour faire entendre sa voix, alors autant privilégier une voix qui est commune, similaire à la nôtre, à nos valeurs et à nos principes puisque l’on délègue notre pouvoir de prise de décision aux eurodéputés. D’où la résurrection au PE des Verts pour les élections de 2019.
Les enjeux sont multiples et dépendent également des couleurs que vous souhaitez donner aux 5 prochaines années à l’Europe et à la France. En effet, il faut rappeler que l’UE intervient à 3 niveaux de compétences. L’UE a des compétences exclusives qui concernent des sujets comme l’union douanière, la politique monétaire ou la règle de concurrence. Elle a également des compétences partagées avec les Etats et qui concernent des sujets comme l’agriculture, l’environnement, l’emploi et les affaires sociales, les transports, l’énergie ou la santé publique. Enfin, elle intervient également en soutien uniquement aux Etats dès lors que l’échelle européenne promet une meilleure efficacité. Ce dernier niveau concerne des sujets comme le tourisme, l’éducation et la formation, la culture ou encore l’industrie. Il y a de quoi faire, alors allez voter aux prochaines élections européennes !
Le site toute l’Europe, propose des podcasts pour comprendre la complexité de cette machine européenne, à consommer sans modération !