Avez-vous déjà lu des romans de science-fiction ? Certains nous présentent un monde imaginaire, dont les éléments qui le composent sont parfois si vraisemblables, que l’on pourrait presque le croire réel et s’y projeter. D’autres dépeignent un monde qui dépasse souvent notre entendement, allant au-delà des limites éthiques, morales, rationnelles, scientifiques, technologiques, du monde humain dans lequel nous vivons. Cependant, il arrive que ces romans illustrent des paradigmes qui nous semblent aujourd’hui invraisemblables mais dont la potentialité future n’est pas nulle. Où se situe donc la limite entre imaginaire et réel ?
Par Angélique Grimault, rédactrice pour le M
Dans l’arsenal de l’armée, une nouvelle arme prospective : l’écriture disruptive
Ce n’est pas nouveau, l’armée a toujours cherché à se préparer aux éventuels conflits de demain. De nos jours, l’intelligence artificielle et le progrès des nouvelles technologies permettent de créer des innovations toujours plus performantes, au service de la défense. En France, l’Agence de l’innovation de défense (AID), créée en 2018, poursuit l’objectif de fédérer et de dynamiser l’innovation de défense, à travers la recherche et l’initialisation de projets variés : lutte anti-drones, robotique militaire, technologies spatiales.
Or, comment se préparer à un futur qu’on ne peut prédire, aux conflits qu’on ne peut prévoir ou à affronter des adversaires que l’on n’imagine pas ? La meilleure manière de se préparer aux potentielles menaces futures est finalement l’imaginaire collectif. L’armée a besoin d’un élan créatif venant bouleverser la manière conventionnelle d’appréhender le futur, afin d’anticiper au mieux les besoins de demain. Dans l’arsenal de l’armée, une nouvelle arme prospective : l’écriture disruptive. Celle-ci permettant d’élaborer des scénarios de futurs possibles, qui challengent l’armée et la poussent dans ses retranchements. Fruit d’une réflexion poussée, elle fait émerger des futurs disruptifs, afin d’élargir le champ de vision et de représentation de l’armée, pour la préparer à affronter les menaces qu’elle n’avait pas envisagées.
Une Red Team chargée d’imaginer les menaces futures
C’est l’objectif de la Red Team : une équipe d’auteurs de science-fiction et de scientifiques, recrutée par l’armée, avec pour mission d’imaginer les menaces futures visant la France ou ses intérêts via l’écriture de récits disruptifs. Ils préparent ainsi l’armée aux conflits futurs, en la mettant à l’épreuve, dans des scénarios fictifs perturbants. Ce travail écrit permet de développer, de manière organisée, la complexité des futurs possibles et les défis auxquels l’armée devra faire face. Ce projet est porté par le Ministère des armées, dans l’optique d’assurer la défense française d’aujourd’hui et de demain. L’objectif de cette équipe est de « soutenir des projets, qui feront la différence demain sur le terrain, pour assurer la supériorité technologique et opérationnelle de nos armées » (Martin Briens, Directeur du cabinet civil et militaire au Ministère des armées, Red Team Défense – Cérémonie de restitution – Saison 1).
Le projet Red Team Defense, est inspiré du modèle américain des années 1980, qui cherchait déjà à prédire et évaluer les failles potentielles de son armée, afin d’anticiper les menaces à la sécurité du pays. Sous la présidence de Ronald Reagan, des écrivains de science-fiction avaient été mobilisés dans cet objectif. En France, cette idée a été lancée sous l’impulsion d’un document d’orientation de l’innovation de défense « Imaginer au-delà » datant du 11 juillet 2019, et d’un projet porté par Emmanuel Chiva (Directeur de l’AID, l’Agence de l’Innovation de Défense). La Red Team est soutenue par la Ministre des armées en France, Florence Parly, qui qualifie cette démarche d’« unique en Europe, chargée de se projeter à l’horizon 2030-2060 pour imaginer les menaces auxquelles nous serons confrontés, en s’affranchissant des méthodes de prospective traditionnelle » (Discours à l’occasion du lancement de la Red Team, au Digital Forum innovation défense à Paris le 4 décembre 2020).
Déjà deux saisons pour cette équipe qui n’avance pas seule
Les auteurs de la Red Team ont été choisis pour leur imagination créatrice sans limites, qui n’est pas inféodée à une seule conception et perception du monde. Ils ont l’opportunité, par leur habilitation secret Défense, de bénéficier d’une vision interne de l’armée et la possibilité de visiter des bases militaires. Ils sont accompagnés d’une Blue Team – constituée de militaires qui peuvent les conseiller sur le niveau de potentialité de leurs idées disruptives et les aider à imaginer des réponses pour y faire face – et d’une White Team – de chercheurs et d’universitaires, formant un comité scientifique éthique, qui assure la transparence et l’orientation du projet. Ce comité éthique est porté par l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL), qui a répondu à l’appel d’offres initié par le Ministère des armées, et permet ainsi l’intervention d’experts pluridisciplinaires pour aider les auteurs.
Depuis son lancement en 2019, la Red Team a déjà été conduite sur deux saisons. Une première saison “0”, orientée sur les problématiques du réchauffement climatique et du puçage des populations, décidée à la suite des migrations climatiques, entraînant des questionnements stratégiques et opérationnels quant aux conflits maritimes. Une seconde saison “1”, comprenant plusieurs scénarios portant, entre autres, sur l’hyper numérisation, l’altération de la perception collective de l’information et du réel, pouvant mener à une guerre cognitive. Certains travaux de ces deux premières saisons sont publics, et consultables sur le site du projet Red Team Defense, mais la plupart demeurent classés secret défense.
Finalement, ce projet est essentiellement porté par le secteur public, et cherche à contribuer au bien collectif et à la défense nationale, en unissant l’armée à la Nation, à travers un travail mené par des auteurs, universitaires, experts et chercheurs. Il doit permettre de dégager des pistes, des questionnements, aussi bien stratégiques que moraux, afin que l’armée française soit capable de répliquer sur tous les fronts aux conflictualités futures. Elle va devoir se perfectionner au niveau infrastructurel et numérique, pour être prête à affronter les menaces potentielles, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, dans un monde en perpétuelle évolution, dont le futur reste outrageusement incertain.
Scénarios de 2021 :