La première culture entièrement robotisée – sans intervention humaine du semis jusqu’à la récolte – a été réalisée en 2017 et a marqué un tournant dans l’agriculture numérique, parfois aussi nommée « agriculture intelligente » ou « e-agriculture ». Allons-nous pouvoir automatiser totalement cette industrie ? En sommes-nous capables, cela s’ajouterait à des milliers d’années d’histoire et poserait des questions éthiques : devons-nous tout artificialiser ? Le naturel n’est-il pas celui qui devrait trôner sur cet aspect ? Un naturel artificiel est-il souhaitable ? Pour parler de numérique et d’agriculture, il faut revenir un petit peu en arrière. Il n’est pas sans rappeler que l’être humain possède un potentiel d’évolution infini. Ce potentiel est donc par définition exploitable dans tout domaine, et l’agriculture n’en n’est pas épargnée. Permettant de nourrir les être humains depuis des siècles, et sujet de nombreuses études scientifiques, l’agriculture voit ses méthodes transformées à travers les âges par les nouvelles technologies. Comme nous le rappelle le site du gouvernement, les scientifiques considèrent que nous sommes aujourd’hui à l’ère de la troisième révolution agricole, la première étant marquée par la technique de l’assolement, la seconde par la chimie et la mécanique, et la troisième par l’arrivée du numérique. Nous entendons même parfois le terme d’agriculture 4.0. Mais alors, de quoi parle-t-on exactement ?
Par Alexandre Didier, membre de PnP
Numérique et agriculture : le duo parfait ?
Applications mobiles, data science, internet, IoT, ou encore IA, le numérique est large et peut parfois nous perdre. Ce dernier fait partie des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et a pour rôle de simplifier la vie des êtres humains : calculs complexes exercés par des machines, prédictions, conseils météorologiques, multi-partage de fichiers, accessibilité pour tous à l’information, etc… En bref, un véritable catalyseur qui permet une meilleure répartition des opportunités quelles qu’elles soient. Dans l’agriculture, il permet des changements positifs majeurs, comme la capacité à pouvoir régler précisément le dosage d’intrants chimiques dans les cultures, ce qui limite les gaz à effet de serre et protège les terres grâce à l’utilisation de systèmes d’informations connectées.
Cependant, le numérique n’a pas toujours été bénéfique à cette industrie. Son utilisation peut en effet impliquer une baisse des besoins en main-d’œuvre, puisque les tâches peuvent être réalisées à temps plein et automatiquement par une machine. Un exemple parmi tant d’autres d’effet indésirable dû à la numérisation de l’agriculture. Mais est-ce que ces nouvelles technologies remplacent vraiment le travail des exploitants agricoles ? L’image satellite, les drones, et plus généralement la vidéosurveillance d’élevage permettent aux agriculteurs et autres exploitants de réduire l’utilisation des intrants et d’en avoir une utilisation optimisée sans forcément “tuer” ces métiers de contrôle des plantations. Comme l’explique Karine Daniel, économiste et directrice de recherches au Laress (Laboratoire de Recherches en Sciences Sociales) d’Angers : “Si ces outils permettent de lever de fortes contraintes d’astreinte, cela ne signifie pas pour autant que l’agriculteur travaille moins, mais différemment.”
Des innovations de pointe au service d’un secteur vieillissant
Il existe de nombreuses solutions numériques qui contribuent et contribueront à rendre l’agriculture plus prospère. C’est le cas par exemple des lunettes augmentées, créées en 2017 par les entreprises Adventiel et Arvalis, qui comportent “un mini-ordinateur”. Ces lunettes permettent aux agriculteurs de compter le nombre de produits malades, le nombre de parasites ou insectes présents pendant les récoltes, et de pouvoir évaluer après coup avec grande précision l’état des sols grâce à des indications qui apparaissent dans le champ visuel de l’utilisateur. Les lunettes répondent également à la voix de leurs propriétaires et permettent de prendre des photos et d’enregistrer leurs observations. Rien de mieux pour améliorer son efficacité et optimiser ses tâches quotidiennes.
Des applications mobiles au service de l’environnement
Le numérique, à travers les applications mobiles, est aussi un moyen de simplifier la vie de l’exploitant agricole. Par exemple, il existe un portail en ligne appelé “Vitiplantation”, qui permet aux viticulteurs de simplifier leurs démarches en ligne concernant la restructuration de leurs vignobles, variant de 3 à 5 % par an. Cela leur permet d’obtenir des réponses plus rapidement et de ne pas dépendre d’un processus administratif trop long.
Pour continuer notre analyse sur le numérique, il faut aussi comprendre qu’il permet de restreindre l’impact environnemental de l’agriculture et qu’il est aussi utilisé pour protéger les espaces verts. L’application “Maforêt” permet par exemple aux propriétaires qui héritent de grands espaces forestiers de pouvoir gérer leur propriété : nombres d’arbres, espèces habitant les lieux, diamètre des arbres, quantité de bois qui peut être vendue, etc… Cela permet de maintenir la forêt en bonne santé, de garantir un environnement sain aux alentours, tout en protégeant un écosystème complet.
Le numérique, symbiote ou parasite agricole ?
Comme vous devez vous en douter, le numérique n’est pas que positif pour l’agriculture et pour notre planète. L’association Les amis de la terre France, par exemple, spécialisée dans la protection des droits de l’Homme et de l’environnement, malgré la pensée commune, critique le numérique en affirmant qu’il est justement contraire au principe d’écologie. Ils soutiennent également que le numérique est une solution “mortifère” à la situation actuelle de l’agriculture en France : “on ignore volontairement l’empreinte environnementale de ces nouveaux équipements, dont le coût exorbitant va accroître l’endettement et donc la disparition des paysans et paysannes : il s’agit d’un non-sens social et environnemental !”. Selon Anne-Laure Sablé, membre de l’association, le numérique engendrerait même davantage de coûts qu’il ne rapporterait de bénéfices. Selon elle, la première dimension est économique, et le numérique va couler les paysans. Cependant, ces arguments semblent peu pertinents dans la mesure où le numérique a fait ses preuves et demeure un des espoirs de l’agriculture de demain.
L’agro-écologie a-t-elle raison d’avoir peur du numérique ?
Comme nous l’avons montré auparavant, le numérique est un moyen de protéger l’environnement mais aussi de simplifier la vie des travailleurs agricoles. De nombreux experts ou scientifiques soulignent l’aide que le numérique apporte à l’agriculture, comme les journalistes de Perspectives Agricoles qui expliquent que l’utilisation de GPS pour les tracteurs permet par exemple de réduire de 10 à 15% la consommation de fuel. L’ exemple donné peut ne pas sembler important, mais l’impact positif du numérique sera plus grand au fur et à mesure du temps.
Cependant, de manière objective, il est vrai que la construction d’équipements électroniques requiert des minéraux rares qui appauvrissent les sols, et que les données sont stockées sur des serveurs très polluants. Mais de nombreuses solutions peuvent résoudre ces problèmes, comme les ordinateurs quantiques. Le numérique pourrait également être utilisé pour améliorer les méthodes agricoles face à la hausse globale de la demande alimentaire. Si nous prenons en compte la dimension énergétique, le numérique permettrait de déterminer la distribution géographique des générateurs d’énergie la moins chère, en fonction de la demande et des ressources disponibles. Il faut aussi rappeler que les outils numériques consomment beaucoup. Comment les recharger ? Pour les agro-écologistes, il faudrait utiliser des énergies renouvelables, mais cela n’est pas possible connaissant leur faible rendement. Le nucléaire est l’énergie actuelle qui se rapproche le plus de ces énergies “vertes”, en attendant l’arrivée de la fusion nucléaire, jusqu’à aujourd’hui au stade de projet.
Pour revenir à l’impact du numérique sur l’agriculture, nous l’avons constaté : le numérique est une aubaine pour les travailleurs agricoles. En revanche, l’agroécologie ne semble pas tout à fait satisfaite, elle propose une accélération drastique pour protéger notre planète : “Mieux cibler les épandages de pesticides et d’engrais chimiques et connaître avec précision les différents stades de développement des cultures sont présentés comme des moyens de ralentir la catastrophe écologique et sanitaire et de s’y adapter. Mais cette conception est en réalité réductionniste et ne vise qu’à traiter les symptômes au cm² en transformant les agriculteurs en de simples exécutants d’algorithmes alors qu’une approche agronomique globale est indispensable pour lutter efficacement contre les nombreuses crises qui nous touchent.” Si je devais donner mon opinion je dirais que l’agroécologie est évidemment intéressante au vu de l’évidence de la crise climatique mais semble à mon goût un peu trop plaintive sans se réjouir des avancées technologiques et du support écologique que le numérique apporte ! Le numérique permettra dans les années à venir un véritable bouleversement de cette industrie, espérons que les agro-écologistes travailleront ensemble main dans la main avec les acteurs technologiques et numériques pour protéger encore davantage l’environnement.