Cette article nous vient de Diplo’mates, l’association de géopolitique de l’emlyon
Qu’est-ce que le terrorisme ? On a tous une vague idée de ce qu’il représente, à savoir une menace diffuse et aveugle orchestrant des attentats à des fins politiques ou religieuses. Il n’y a pourtant pas de consensus sur une définition de ce concept, bien que de nombreux experts se soient penchés sur la question – on recense 109 définitions du terrorisme. Et pour cause, le terrorisme prend diverses formes selon le type de groupe qui le pratique (inter-étatique, national…) ou la nature de la cause défendue (idéologique, religieuse, politique). En 1972, Martha Crenshaw, professeur à l’Université de Virginie et spécialiste du terrorisme, le définit comme des « actes socialement et politiquement inacceptables dont les cibles sont sélectionnées en fonction de leur importance symbolique. L’objectif de ces actions est de créer un effet psychologique sur le groupe visé afin qu’il y ait un changement de comportement politique ». Aujourd’hui, le terrorisme a dépassé les frontières nationales et s’est transformé en un véritable réseau mondial protéiforme. Il constitue une menace constante, imprévisible, et évolutive, devenue le principal ennemi des démocraties occidentales et qui les a contraintes à renforcer leur politique de sécurité intérieure. Mais cet ennemi peut-il être vaincu ?
Du « terrorisme national » au « terrorisme mondialisé »
Le terrorisme a beaucoup évolué dans le temps. Il a toujours existé des organisations luttant contre le pouvoir en place, et perpétrant des meurtres pour l’affaiblir. La célèbre secte des Assassins (1090 – 1256), par exemple, utilisait la peur et les assassinats pour déstabiliser les vizirs et les califes alors au pouvoir. Cependant, le terme « terroriste » prend véritablement le sens qu’il a aujourd’hui au début du XXème siècle pour qualifier les actions de mouvements nationalistes, comme celles du Front de Libération Nationale (FLN) durant la Guerre d’Algérie (1954 – 1952), responsable de sabotages et d’attentats qui ont fait des milliers de victimes, ou celles de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, « Pays Basque et Liberté »), le mouvement basque qui a commandité l’assassinat du Premier ministre espagnol Luis Carrero Blanco en 1959. Des organisations terroristes d’extrême gauche naissent ensuite dans les années 70, comme les Brigades rouges en Italie, la Bande à Baader en Allemagne ou encore l’Armée rouge japonaise. Il est alors question de terrorisme national, exercé par des organisations aux revendications nationalistes, indépendantistes, puis marxistes.
En 1990, l’intervention de la coalition occidentale de 35 Etats menée par les Etats-Unis en Irak dans le cadre de la Guerre du Golfe s’avère un tournant dans l’évolution du terrorisme. L’organisation islamiste Al-Qaida se développe dans la foulée. Elle se fonde sur l’argument que les gouvernements occidentaux interfèrent dans les affaires intérieures des nations islamiques pour leur propre intérêt et va utiliser le terrorisme pour faire entendre ses revendications, « le seul langage que l’Occident comprend », si l’on se réfère aux propos tenus par le bras droit d’Oussama Ben Laden, Ayman al-Zawahiri en 2001. La menace terroriste devient alors internationale et vient s’opposer idéologiquement à l’Occident. On parle alors d’un terrorisme mondialisé, exercé par plusieurs organisations, dont l’Etat Islamique (ex Al-Qaida en Irak), Al-Qaida au Maghreb Islamique, ou le Front Fatah al-Cham. Les terroristes voient deux champs d’intervention : leur étranger proche, c’est-à-dire les Etats arabes soumis à des gouvernements impies et soutenus par les puissances occidentales, et l’étranger lointain. Il s’agit donc de frapper les occidentaux pour faire cesser leur soutien aux gouvernements locaux.
Les organisations terroristes n’agissent donc plus uniquement sur leur territoire. Elles ourdissent des attentats dans les pays occidentaux, le plus marquant étant bien évidemment ceux du 11 septembre 2001 à Washington et New York qui ont fait près de 3000 morts et qui ont poussé les Etats-Unis de Georges Bush à déclarer la « guerre contre le terrorisme ». Le terrorisme a dépassé le territoire national : c’est désormais une menace que les gouvernements occidentaux combattent loin de leur pays mais qui n’en a paradoxalement jamais été aussi proche.
Des images qui ont fait le tour du monde : l’attaque des tours jumelles le 11 septembre à New York
Aujourd’hui, les organisations terroristes forment une nébuleuse de réseaux organisés à l’échelle mondiale, qui utilisent les outils de la mondialisation comme voies de communication pour diffuser leurs idées et préparer leurs attentats. Les djihadistes utilisent particulièrement Telegram, une application russe concurrente de Whatsapp dont la différenciation réside dans la sécurisation des messages : seuls l’émetteur et le destinataire sont en mesure de les lire. Elle est donc très utile pour transmettre des images de propagande au plus grand nombre et discuter discrètement de projets d’attaques en restant dans un anonymat total. Adel Kermiche, auteur de l’attentat de l’Eglise Saint-Etienne-du-Rouvray en juillet 2016, avait créé une chaîne Telegram, suivi par près de 200 personnes. Twitter est également prisé des terroristes, même si leurs comptes sont régulièrement supprimés. Ce sont également des armes redoutables pour attirer puis embrigader des personnes marginalisées, qui ne se retrouvent pas dans le système de leur pays.
Le terrorisme, une menace intérieure permanente issue de l’extérieur
Depuis les attentats du 11 septembre notamment, qui ont été un choc psychologique phénoménal pour le monde entier et qui ont marqué la fin du mythe de l’inviolabilité du territoire américain, le terrorisme est dans les esprits de tous. Il constitue une menace qui plane au-dessus de nos têtes : imprévisible et volatile, il frappe aléatoirement et toujours avec violence. Le terrorisme conduit à la terreur dont il se nourrit pour gagner en puissance. Cette menace a particulièrement grandi ces trois dernières années au sein des pays occidentaux avec la multiplication des attentats djihadistes depuis 2015 en Europe, et ce, malgré le renforcement de la sécurité intérieure. En effet, en 2014, seul un attentat a eu lieu dans l’Union Européenne : celui du musée juif de Bruxelles le 24 mai, qui constitue la première attaque revendiquée par l’Etat Islamique en Occident. En 2015, 9 attentats ont été organisés sur le territoire de l’UE, parmi lesquelles les attaques marquantes à Charly Hebdo le 7 janvier et au Bataclan le 13 novembre. En 2016, le nombre passe à 19 et, en 2017, près d’une trentaine d’attaques terroristes sont recensés. La menace est d’ailleurs si latente qu’on observe une normalisation de l’urgence dans les pays européens. La France est ainsi en état d’urgence permanent depuis les attentats du Bataclan en novembre 2015.
A la mémoire des victimes du Bataclan
Attentat au camion-bélier à Nice en juillet 2016 et à Berlin sur le marché de Noël en décembre, attentat suicide à Manchester en mai 2017, voiture-bélier aux Ramblas à Barcelone en août, attaque au couteau à la gare de Saint-Charles à Marseille en octobre… Les attaques sont plus fréquentes, les modes d’emploi et les lieux plus variés, ce qui complexifie leur anticipation. Certaines sont presque impossibles à prévoir, notamment parce qu’elles sont perpétrées par des « loups solitaires ». C’est sa capacité à se manifester sous des formes imprévisibles qui rend le terrorisme d’aujourd’hui si menaçant pour les populations occidentales. C’est le développement du « terrorisme de proximité » : il n’est plus question uniquement de réseaux organisés mais de personnes isolées, de plus en plus jeunes.
La menace est d’autant plus importante que ses sources sont multiples : si désormais Daesh est responsable de la plupart des attentats perpétrés en Europe, l’AQPA (Al-Qaida dans la Péninsule Arabique) et d’autres groupuscules affiliés à Al-Qaida ont également été impliqués dans des attentats. L’Etat Islamique, qui s’est développé avec la déstabilisation géopolitique du Moyen Orient provoquée par les guerres en Syrie et en Irak, constitue désormais la principale menace pour les démocraties occidentales. S’en est suivie une mobilisation massive des Etats (et notamment de la Russie) à partir de 2015 pour la lutte contre Daesh, qui s’est traduite par une perte de près de 95% de son territoire par rapport à 2014.
Vaincre le terrorisme, c’est réduire la menace sous un seuil tolérable
Mais est-ce pour autant la fin de l’Etat Islamique ? Toute guerre se termine par la victoire d’une nation sur une autre. La « guerre contre le terrorisme », en revanche, est sans fin pour plusieurs raisons. D’une part, une organisation terroriste peut disparaître, mais ce n’est pas pour autant que l’idéologie politique disparaît. De nouvelles organisations se créent sans cesse, alimentées par la haine, les difficultés économiques et le rejet de la culture occidentale. Depuis 2014, Daesh est la plus grande menace terroriste en Occident et a « remplacé » Al-Qaida en quelques sortes, affaiblie après la mort d’Oussama Ben Laden le 2 mai 2011 au Pakistan.
D’autre part, les organisations affaiblies peuvent se relever grâce à l’arrivée de nouvelles recrues et d’un financement important. Ainsi, si le décès de Ben Laden a ébranlé Al-Qaida, l’organisation, constituée de multiples branches (AQPA, Front Al-Nosra, Al-Shabbaab…) a su se relever : Al-Nosra a recruté 3000 Syriens début 2016, tandis qu’AQPA a pu accroître ses effectifs au Yémen à partir de 2014. Les djihadistes tués dans cette guerre contre le terrorisme sont inlassablement remplacés par de nouvelles recrues convaincues de la justesse de leur combat, via les réseaux sociaux, les mosquées, mais aussi dans les pays du Moyen-Orient en guerre où l’enrôlement pour l’Etat Islamique est parfois vu comme un moindre mal. Enfin, les organisations terroristes survivent grâce à des sources de financement variées : prise d’otage, braquage, sociétés écrans, organisations caritatives… Le Qatar est accusé par plusieurs pays du Golfe de financer des groupes terroristes et compte tenu de l’importance de leurs fonds, on peut imaginer que Doha est susceptible de leur offrir une aide substantielle.
Le combat contre le terrorisme est d’autant plus dur à mener qu’il se fait avec un handicap. En effet, la complexité de cette guerre réside dans le paradoxe entre la nécessité d’être intransigeant et de préserver les valeurs fondatrices des démocraties occidentales, car le terrorisme a tendance à entraîner les Etats sur la « mauvaise pente ». On a pu le voir avec les Etats-Unis, qui se sont lancés dans une guerre contre le « mal » après les attentats du 11 septembre, justifiant l’usage de la torture et l’enfermement de terroristes sans procès dans des prisons aux conditions extrêmes (Guantanamo à Cuba, Bagram en Afghanistan, Abou Grahib en Irak). Comme le souligne Aharon Barak, le président de la Cour suprême d’Israël en 2003, « dans un régime démocratique, la fin ne justifie pas tous les moyens et il n’est pas possible de recourir à toutes les méthodes utilisées par l’ennemi. Il arrive qu’une démocratie doive se battre avec une main attachée derrière le dos ».
A l’intérieur de la prison de Guantanamo où sont enfermés les terroristes
Il semble donc impossible d’éliminer la menace terroriste. Alors, que faire ? Pour Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’IRSEM, « gagner la guerre contre le terrorisme […] ne peut que vouloir dire : maintenir le risque d’attentat en-deçà d’un seuil politiquement acceptable ». En effet, quoiqu’il en soit, l’affaiblissement des organisations terroristes, s’il ne conduit pas à l’extermination définitive de la menace, est un moyen de réduire le risque d’attentats. Limiter le financement au maximum est également une méthode efficace car sans argent, il n’y a pas moyen de s’acheter des armes. Le Conseil de sécurité de l’ONU a notamment adopté une résolution le 20 novembre 2015 dans laquelle il demande aux « États qui ont la capacité de le faire » d’« intensifier leurs efforts pour endiguer le flux de combattants terroristes étrangers qui se rendent en Irak et en Syrie et empêcher et éliminer le financement du terrorisme ». Endiguer le terrorisme et ainsi limiter au maximum le risque d’attentats, c’est la victoire sur le terrorisme. La victoire ne pourra en effet jamais se traduire par l’éradication de la menace, comme c’est le cas des guerres dites conventionnelles.
La « guerre contre le terrorisme », elle, est sans fin, mais elle doit continuer pour venir en aide aux populations sous le joug de ces organisations terroristes. En 2015, près de 7,5 millions de personnes étaient sous contrôle de l’Etat Islamique. La coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie a permis de libérer ces personnes. Stabiliser le Moyen-Orient est un enjeu capital pour réduire massivement la menace terroriste. La route pour y parvenir est longue et semée d’embuches.
François-Xavier
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