Le premier ministre canadien était, jusqu’en ce début 2019, une figure « irréprochable » d’un mouvement libéral, progressiste et d’ouverture, qui s’opposait sur la scène internationale à la montée des populismes et des nationalismes. Mais les affaires de corruption auxquelles il serait mêlé ont largement terni son image, et dans la nouvelle opposition mondiale décrite précédemment, il n’est désormais plus certain qu’il soit une figure de proue.
Aux origines du phénomène
Justin Trudeau naît à Ottawa en 1971. Son grand-père déjà était membre du Cabinet fédéral, et son père lui-même fut Premier ministre canadien dans les années 70 et 80. Il étudie à la prestigieuse université de McGill puis commence sa carrière dans l’enseignement. Les décès tragiques de son frère et de son père le propulsent sur la scène publique au début des années 2000. Il reprend alors ses études, sans pour autant venir à bout des programmes d’ingénierie et de géographie environnementale qu’il avait entrepris. Il s’investit dans des entreprises de représentation et de sensibilisation, notamment sur le sujet des avalanches, suite à l’accident dont son frère a été victime, ainsi que sur la question de l’épuration ethnique au Darfour. A partir de 2006, son engagement politique débute alors qu’il offre son aide au libéral Tom Axworthy, ancien collaborateur de son père.
En 2009, Justin Trudeau devient porte-parole des jeunes et du multiculturalisme. C’est cette image d’ouverture et de jeunesse qui depuis semble le caractériser. Le Parti libéral subit de nombreux revers dans les années qui suivent, et ce n’est qu’en 2012 que Trudeau se lance en campagne pour prendre la tête du parti. Il y parvient avec succès en avril 2013. Les conservateurs sont alors au pouvoir et les libéraux divisés. Les élections législatives de 2015 sonnent le glas de ses adversaires qui l’avaient largement sous-estimé. Le Parti libéral remporte 184 sièges sur 338 à la Chambre des communes.
C’est là que commence la légende du jeune et dynamique Premier ministre canadien, qui charme les progressistes du monde entier. La parité, l’accueil des migrants (40 000 réfugiés syriens accueillis en deux ans), la prise en compte des classes moyennes et des populations autochtones sont autant de sujets sur lesquels le gouvernement Trudeau compte faire bonne figure. En juillet dernier, il est également devenu le premier Premier ministre à entrer dans un bar gay durant la Gay Pride de Vancouver.
Sur le plan des relations internationales, Justin Trudeau s’oppose vivement à son voisin Donald Trump, ouvrant même les portes de son pays aux citoyens des Etats-Unis qui seraient en désaccord profond avec leur nouveau chef d’Etat. Les relations entre le Canada et les Etats-Unis, qui allaient depuis plusieurs années vers plus d’échange et d’ouverture, ont en effet été bouleversées par les véhémences protectionnistes du nouveau président américain.
Une nouvelle place pour le Canada sur la scène internationale
Après un début de siècle marqué par un certain isolationnisme des conservateurs au pouvoir, les ambitions internationales du Canada sont indubitablement revues à la hausse dès le début de l’ère Trudeau. La promesse d’un nouveau chef de file charismatique pour le monde libéral séduit les jeunes progressistes du monde entier. On assiste à un réel engouement de la presse mondiale, qui multiplie les portraits élogieux du jeune prodige. Un projet est emblématique de la place que compte accorder Justin Trudeau à son pays dans les relations internationales : le CETA. Malgré les nombreuses polémiques, le traité de libre-échange vient d’être voté à l’Assemblée Nationale en France et, si le texte doit être ratifié par les 28 Etats membres de l’Union Européenne, l’application provisoire est déjà mise en place depuis septembre 2017.
On voit là l’esquisse des premières critiques à l’encontre de « l’homme providentiel » que devait être Trudeau. Ce traité de libre-échange est largement décrié pour son impact environnemental et pour les difficultés sociales qu’il pourrait entraîner. Le consensus s’éloigne. De plus, les détracteurs du dirigeant canadien l’accusent également (à tort ou à raison) de s’adonner au « pink washing » (en référence à son soutien affiché à la communauté LGBT), ou plus largement de prendre la défense des minorités pour faire oublier les actions moins glorieuses entreprises par son gouvernement, notamment la vente de véhicules blindés à l’Arabie Saoudite. Son attitude peu solennelle et son goût pour le spectacle lui sont également reprochés.
Cette volonté de faire du Canada une puissance de premier plan ne pouvait éviter à Justin Trudeau de se faire de nombreux ennemis, autant sur le plan intérieur que dans le cadre de relations unilatérales ou multilatérales avec des puissances extérieures. Mais sa politique opposée à celle de son voisin du Sud lui permet tout de même de conserver une certaine popularité, à l’image de la récente annonce du durcissement du contrôle des armes à feu après les nombreuses fusillades qui ont touché l’Amérique du Nord. Mais, comme souvent, la question reste de savoir si les actes suivront les promesses. Car s’il est vrai que, d’après une étude du Centre d’analyse des politiques publiques de l’Université Laval, la majorité des promesses électorales ont été tenues, le gouvernement n’a pas nécessairement su répondre aux attentes issues de son ambitieux programme et du charisme de son leader.
Quel avenir pour Trudeau ?
La position de jeune premier n’a donc pas été facile à assumer jusqu’à présent pour le Premier Ministre Canadien, qui fait face à des défis majeurs, surtout sur le plan diplomatique, et doit éviter de tomber dans un manichéisme naïf qui le rendrait peu crédible. S’opposer au « pire » et aux « méchants populistes » semble en effet être devenu le credo universel des démocrates libéraux, qui à défaut de vrais projets d’avenir ne promettent qu’une alternative douce à des régimes imprévisibles.
Un bilan en demi-teinte donc, qui convaincra difficilement les électeurs. Ceux-ci ne représentaient déjà que 39,5% de la population lors des dernières législatives. En réalité, la réélection de Trudeau dépendra surtout de la situation économique dans laquelle se trouveront les différentes régions canadiennes. L’avenir semble donc incertain, et tant les choix de politique intérieure que les prises de positions sur la scène internationale pèseront de tout leur poids en vue des prochaines échéances électorales.
Sources :
Le Monde, « Tout comprendre au scandale qui ébranle le premier ministre canadien Justin Trudeau », Charlotte Chabas, 19 mars 2019
L’Encyclopédie canadienne, « Justin Trudeau », Stephen Azzi
Un selfie avec Justin Trudeau: Regard critique sur la diplomatie du premier ministre, Jocelyn Coulon
Promise and Peril : Justin Trudeau in Power, Aaron Wherry