En décembre dernier, en annonçant le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et en reconnaissant la ville comme capitale de l’État hébreu, Donald Trump a provoqué un véritable séisme dans l’opinion publique internationale. Il faut dire que la ville fait l’objet d’une attention médiatique démesurée en comparaison avec son exiguïté territoriale, la faiblesse numérique de sa population ou l’absence de ressources commerciales. Si l’attention que portent les médias internationaux sur Jérusalem est si forte, c’est bien parce que la ville constitue un enjeu géopolitique majeur pour chaque camp du conflit israélo-palestinien. À cela, il conviendrait d’ajouter le caractère sacré de son territoire – pour les Juifs comme pour les musulmans. D’ailleurs, cette sacralisation, qui s’est accrue au fil du temps, fait de Jérusalem un excellent instrument fédérateur des énergies côté israélien comme palestinien.
Une ville pas comme les autres
Jérusalem n’est pas une ville comme les autres. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les répercussions médiatiques et diplomatiques que chaque incident – même moindre – provoque. L’année 1996 en est, en ce sens, un parfait exemple, la décision de construire dans la Vieille Ville, près de l’esplanade des Mosquées, une deuxième sortie à un tunnel antique ayant engendré des émeutes meurtrières. Les Palestiniens redoutaient que ces travaux ne conduisent à une destruction des traces du passé musulman pour ne garder que celles de l’histoire juive. Il a fallu une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité des Nations unies, la convocation de l’Assemblée générale et l’adoption d’une résolution condamnant l’initiative israélienne pour que les tensions ne soient pas plus vives. Non, Jérusalem n’est décidemment pas une ville comme les autres. Quel pays décide d’installer sa capitale dans une ville qui fait l’objet d’un grave conflit – il est évident que les capitales ne sont jamais installées sur des lignes de front ? Pourtant, Jérusalem est bien une capitale, preuve de l’importance de la ville pour les Israéliens – le gouvernement a proclamé Jérusalem, en 1980, « capitale éternelle d’Israël ».
« Stratégies spatiales à Jérusalem-Est »
La géographie est un élément clé pour comprendre le conflit israélo-palestinien au cœur de la ville. L’histoire des guerres entre Israël et ses pays voisins en est un parfait exemple. En 1948, année de la première guerre israélo-arabe, l’armée israélienne a réussi à conquérir la partie ouest de Jérusalem, obligeant la population arabe qui s’y trouvait à se réfugier à l’est. La Vieille ville, le mur des Lamentations et l’est de la ville restant chasse-gardée des combattants arabes jusqu’en 1967, au cours de la guerre des Six Jours. 1967 est une date fondamentale dans l’histoire de la ville. C’est, en effet, à partir de cette date que les autorités israéliennes ont décidé d’étendre le territoire de la municipalité, le faisant passer de 7 à 72 km2 et que des colonies israéliennes se sont implantées sur les hauteurs de Jérusalem-Est, alors occupées presque totalement par des Palestiniens. Cette situation, condamnée par l’ONU et le Conseil de sécurité qui ne reconnaît pas à Israël le droit d’annexer les territoires conquis au-delà de la Ligne verte, fait que l’ensemble des communautés israéliennes – laïcs, sionistes, ultra-orthodoxes, ashkénazes ou séfarades – sont unanimes sur le fait qu’il ne faut rendre les territoires conquis. Ce n’est donc pas un hasard si, aujourd’hui encore, tout accord territorial sur Jérusalem est impossible à prendre. D’ailleurs, en 1995, les accords d’Oslo ne réglaient pas, déjà, le statut de Jérusalem, de peur que cela ne bloque les négociations et ne rende la signature improbable. Par une habile stratégie d’implémentation, les Israéliens ont, donc, morcelé et encerclé le territoire de Jérusalem-Est, les territoires palestiniens se retrouvant aujourd’hui disloqués. La situation démographique y est également différente : les Juifs représentaient 40% de la population de Jérusalem-Est en 2007, contre à peine 5% en 1967.
Pourtant, l’annexion de ces territoires ne signifie pas que les populations qui s’y trouvent disposent d’un statut de citoyen israélien identique à celui des populations arabes restées en Israël après 1948 – ces populations ne peuvent pas, entre autre, voter aux élections nationales –, le gouvernement israélien refusant d’augmenter le nombre de citoyens arabes israéliens. Pas sûr non plus que les Palestiniens ne souhaitent le devenir.
Un mur au cœur de la ville
Élu premier ministre en 2002, Ariel Sharon décida, au début de la seconde Intifada, la construction d’un mur de béton, entourant la Cisjordanie sur le tracé de la Ligne verte, et parfois bien plus à l’est. Contestée parce que séparant de plus en plus les deux communautés, la construction de cette barrière de séparation – pouvant atteindre à certains endroits plus de 8 mètres de haut – tient sa justification dans la stratégie de l’attentat, choisie par certaines forces politiques palestiniennes (Hamas notamment). S’il faut admettre que le nombre d’attentats a, en effet, considérablement été réduit depuis 2002, il ne faut, cependant, pas oublier qu’il conforte l’annexion définitive des territoires conquis sur la Cisjordanie. Il est donc évident qu’il ne revêt pas la même signification dans l’imaginaire collectif des Israéliens et des Palestiniens : une contrainte imposée par un désir de sécurité pour les uns, la matérialisation d’une annexion illégale pour les autres.
Si les conflits à l’intérieur de Jérusalem sont interprétés via le prisme du conflit israélo-palestinien, il ne faut cependant pas oublier ceux opposant – certes, secondaires – les Israéliens religieux ultra-orthodoxes aux Israéliens laïcs voire athées, la cohabitation territoriale n’étant pas toujours très aisée. Ainsi, dans plusieurs quartiers religieux, dont celui de Mea Shaarim, le respect total de la loi religieuse impose un mode de vie en contradiction avec celui d’une société libérale et occidentalisée.
Quel avenir pour Jérusalem ?
Depuis la décision de Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem – imitée par le Guatemala –, la question est relancée. Le projet d’une capitale pour deux peuples semble désormais impossible. Il faut dire qu’il était déjà bien compromis avant la décision du président américain. Le nationalisme palestinien n’a jamais laissé planer le moindre doute quant à la Ville Sainte, qui demeure au centre des revendications de l’OLP. Jérusalem représente à leurs yeux un moyen de crédibiliser moralement et politiquement leur État en devenir – notons à cet égard que Hébron et Gaza ne correspondent pas aux critères objectifs d’une capitale. Cependant, les actions palestiniennes sont limitées. Il est vrai que l’autorité palestinienne tente de renverser le rapport de force avec Israël – ou du moins de le rééquilibrer – en ayant recours aux médias et à l’aide diplomatique extérieure : appels répétés au partage de la ville, stigmatisation de la séparation spatiale, travaille sur les chancelleries occidentales, etc. Ce qui est sûr, c’est que la frange traditionnaliste de la population palestinienne ne pardonnerait en aucun cas à Mahmoud Abbas un échec de la souveraineté de Jérusalem-Est, et ce en dépit d’une avancée significative du processus de paix.
Autre alternative crédible : « l’internationalisation » de Jérusalem. Préconisée officiellement par les Nations unies depuis le Plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947 et soutenue par le Vatican, elle trouverait sa justification dans le fait que Jérusalem est une ville sacrée pour les trois monothéismes. Si une telle solution venait à émerger – les Israéliens ne veulent pas céder ce qu’ils possèdent et les Palestiniens ne veulent pas céder ce qu’ils sont convaincus d’obtenir –, cela signifierait un partage du contrôle de la municipalité sur des critères communautaires et administratifs, un droit de regard pour toutes les nations se réclamant de l’héritage monothéiste, la présence de casques bleus, etc.
Enfin, mis à part la solution irréaliste d’un partage de la ville selon des arrondissements – à la londonienne ou parisienne, mais avec plus d’autonomie –, la dernière solution reste celle d’un partage du territoire en deux zones distinctes selon les limites définies par la Ligne verte avant 1967. Israël devrait alors non seulement abandonner une partie de sa souveraineté sur Jérusalem mais aussi abandonner plus de 190 000 de ses ressortissants installés dans la partie est de la ville. Si cette solution est privilégiée en Palestine, elle ne fait en aucun cas l’unanimité en Israël. L’ancien premier ministre travailliste, Shimon Pérès, la considérait d’ailleurs comme « ouverte sur le plan religieux, mais fermée sur le plan politique ».
La situation semble aujourd’hui bloquée, le statu-quo restant donc de mise… à moins que la décision de Donald Trump ne soit un coup de génie et ne cache une solution diplomatique inattendue, qui lui seul aurait prévue…
par Clément Visbecq, journaliste de Diplo’Mates