Par Matthieu Richard
Riche d’une expérience intense dans la communication territoriale, Marc Thebault a arpenté la France comme directeur de la communication de villes et d’agglomérations. Nous sommes revenus sur sa carrière et sur sa vision de son secteur d’activité, assez méconnu: le marketing territorial.
Peux-tu te présenter : ton parcours, ton expérience professionnelle ?
Marc Thebault (MT) : Marc Thebault, 61 ans, diplômé en Presse et Communication de l’université Jean Monnet Saint Etienne. J’ai été directeur de la communication à la mairie d’Issy-les-Moulineaux et de Saint Etienne, ainsi que des agglomération de Saint Etienne et de Caen. Je suis actuellement directeur de la communication de Caen la Mer, et j’interviens également dans différents établissement d’enseignement supérieur. Quoiqu’hétéroclite, je pense pouvoir donner fil rouge à ma carrière, en disant qu’elle a toujours été motivée par la promotion des territoires.
Tu as fait des choix de carrières forts, notamment concernant l’implantation géographique. Comment les as-tu motivé ?
MT : J’ai quitté la région parisienne en 1998 pour Saint Etienne, en majeur partie pour des raisons familiales. Néanmoins, j’ai vu en cette évolution professionnelle l’opportunité de me challenger, alors que ma carrière était pourtant confortablement installée. En ce qui concerne mon arrivée à Caen, elle a été permise par une opportunité professionnelle couplée, là aussi, à un désir de nouveaux challenge, le changement d’environnement, le passage de la ville à l’intercommunalité.
MARKETING ET ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES FRANÇAIS
Les lecteurs du M sont pour la plupart étudiants à emlyon, et ont une approche générale du marketing.
Pourrais-tu nous parler plus en détail du marketing territorial, et nous expliquer en quoi consiste tes missions aux quotidiens ?
MT : Le marketing territorial est un secteur relativement récent, né de la prise de conscience de la nécessité d’intégrer des notions venant du marketing pour développer la compétitivité et l’attractivité des territoires. Globalement, quoiqu’il me soit impossible de définir une journée type, ma mission s’apparente au développement de l’attractivité territoriale selon trois axes : le développement de l’attractivité économique, touristique et résidentielle. Il s’agit donc d’identifier et de trouver les moyens d’attirer de nouveaux acteurs économiques et de les inviter à s’installer sur les territoires, mais aussi de développer l’activité économique des territoires par des acteurs temporaires, comme les touristes. Pour se faire, nous cherchons à analyser les forces et les faiblesses des territoires concurrents, pour savoir comment porter les offres de notre territoire tout en étant le plus crédible possible. Un exemple de mission du marketing territorial a par exemple été la valorisation du territoire pour soutenir sa candidature dans le cas d’une délocalisation de musée, comme ce fut le cas pour le Louvre ou le Centre Pompidou.
D’après toi, le marketing territorial est-il un secteur comme les autres du marketing stratégique ?
MT : La certitude que j’ai est que la dénomination “marketing territorial” n’est pas abusive : le marketing territorial est bien une forme de marketing, que l’on peut considérer comme stratégique. En revanche, des différences notoires existent entre ces deux domaines :
Les produits auxquels s’applique le marketing stratégique traditionnel et le marketing territorial sont différents. De fait, si l’approche est définitivement celle du marketing, elle est aussi intrinsèquement liée, dédiée à la notion de territoire. Toutefois, en adoptant une approche temporelle, on se rend assez rapidement compte que le marketing territorial est une discipline fille du développement économique, qui vise à considérer le territoire comme un objet, un produit. Les dynamiques sont, par ailleurs, devenues de plus en plus marchandes, notamment en ce qui concerne le développement touristique, ce qui fait du marketing territorial une spécialisation qui, à bien des égards, est de plus en plus confondue avec le marketing stratégique.
Quels sont les principaux atouts du secteur du marketing territorial ? De même, quelles sont les limites du secteur, les frustrations auxquelles tu peux faire face dans ta vie professionnelle ?
MT : En travaillant dans le secteur public, on se sent au service d’un territoire, détaché des intérêts privés. Ainsi, la plus grande satisfaction quand on est acteur dans le secteur du marketing territorial est sans aucun doute le sentiment d’utilité au territoire, et de fait, à l’ensemble de ses acteurs. Dans les faits, la fonction que j’exerce est une fonction politique, au sens premier du terme, en ceci qu’elle se penche sur l’organisation de la vie au sein de la cité. Elle est aussi fortement liée à la politique dans son sens le plus courant, ce qui est parfois frustrant. En effet, le personnel administratif doit être en relation directe avec les élus, or les modes de pensée sont différents pour les deux. Là où les équipes marketing des territoires sont souvent prêtes à adopter une vision sur le long terme, les élus ont une réflexion qui est parfois axée en termes de mandat, ce qui limite la possibilité d’une stabilité de l’investissement dans le marketing territorial. Mais c’est aussi la raison d’être de ma fonction, à savoir convaincre les élus de la nécessité de l’investissement pour le bien de tous.
LES FORMATIONS ISSUES DU SECTEUR PRIVÉ AU SERVICE DU PUBLIC
Plus exactement, qu’apporte une expérience dans le marketing territorial dans une carrière ?
MT : Les liens entre secteur public et secteur privé sont souvent sous-estimés. Par ailleurs, le nombre de formations spécifiques au marketing territorial est encore faible, l’approche de ce domaine se fait donc presque exclusivement par l’expérience. Parallèlement, le fait de travailler dans le marketing territorial permet de comprendre les mécanismes d’attachement au territoire, en allant notamment chercher dans un territoire un certain nombre d’atouts pour rendre des produits plus attractifs. On peut, en effet, considérer que comprendre le rapport qu’entretiennent les hommes avec leur territoire permet, plus globalement, de comprendre une majeure partie des mécanismes qui modulent les décisions des agents.
Comment le secteur du marketing territorial, et plus largement du marketing stratégique, est-il appelé à évoluer dans les prochaines années ?
MT : Selon moi, le changement majeur qui va modifier l’approche du marketing stratégique est le repositionnement du client au centre du processus, ce qui passe notamment par une écoute plus attentive des besoins et des attentes des cibles et un développement du marketing expérientiel comme l’avait très tôt compris Abercombie & Fitch en recrutant des vendeurs au physique valorisant.
Enfin, quelles sont selon toi les forces et les faiblesses des étudiants sortant d’école de commerce que tu as pu croiser ? Quel conseil leur donnerais-tu ?
«Le secteur public territorial est régulièrement porté par l’innovation.»
MT : Ma situation d’intervenant dans les établissements d’enseignement supérieur me donne un contact privilégié avec des étudiants issus du système universitaire comme du monde des Grandes Écoles. De ce que je peux constater, les étudiants considèrent souvent le secteur public comme un secteur un peu ringard. En s’y intéressant, on se rend compte que le secteur public territorial est aussi régulièrement porté par l’innovation. Ainsi, le conseil que je pourrais donner à un étudiant serait d’avoir conscience des forces et faiblesses du secteur qui les intéresse. Dans le cas du marketing territorial, il faut avoir conscience que l’inscription d’une carrière dans le secteur public est souvent antinomique avec la mise en exergue du plan de carrière personnel. Certes, accepter de travailler dans le secteur public, c’est potentiellement renoncer à des salaires qui pourraient être plus importants, au profit de la sensation profonde d’être utile à la collectivité.