Par Antoine Faure
Les hologrammes sont une technologie présente dans de nombreux univers de science-fiction. Ces projections en trois dimensions peuvent, par exemple, être retrouvées dans Star Wars, Blade Runner, Avatar ou encore les films Marvel, et plus particulièrement dans la trilogie Iron Man. Dans Star Wars, les hologrammes sont utilisés pour communiquer – en temps réel ou non – pour visualiser des plans et des cartes, ainsi qu’à des fins de divertissement, comme avec le jeu d’échecs holographiques présent à bord du Millenium Falcon, appelé le dejarik. Cette projection se fait à l’aide d’appareils appelés holoprojecteurs. Il en existe de toutes tailles, du simple disque tenant dans la paume de la main à un projecteur fixe de plus d’un mètre de diamètre, et certains ont même la capacité de créer des images tridimensionnelles en couleur. La particularité principale de ces hologrammes reste cependant la possibilité de les traverser sans déstabiliser la projection : de fait, aucun support n’est requis pour pouvoir projeter ces informations. Bien qu’on ne puisse pas encore trouver une telle technologie dans la réalité, le concept d’hologramme a été inventé il y a plus de 70 ans, et certaines avancées technologiques pourraient aujourd’hui nous rapprocher de cette galaxie très, très lointaine.
Origine & évolution des hologrammes
Pour comprendre mieux cette technologie, il convient d’en remonter aux origines. Le mot hologramme vient du grec hólos, entier, et de grámma, qui veut dire signe ou écrit. Un hologramme est donc un signe ou une image dans sa globalité, qui peut être observé sous tous ses aspects. Le concept d’hologramme apparaît au XXe siècle, avec la mise au point de la technique qui permet sa création. L’holographie, inventée en 1948 par Dennis Gabor, est un procédé qui permet d’obtenir une photo en trois dimensions sur un support plat, ce qui donne une illusion de relief. Pour créer un hologramme, il faut tout d’abord pointer un laser sur l’objet, qui va réfléchir une partie des ondes laser. Croiser ces ondes réfléchies avec un laser qui n’a pas touché l’objet va engendrer des interférences. En plaçant ce dispositif en face d’un support photosensible, les interférences vont y être enregistrées, et il sera ensuite possible de lire l’hologramme sur ce même support. En effet, un hologramme est dans son sens premier un ensemble de points lumineux réfléchissant la lumière, qui ne sont visibles que si l’observateur se situe au bon endroit. Changer d’angle de vue en tournant l’hologramme modifie donc l’image perçue, ce qui donne l’effet de relief.
Dès lors, le terme d’hologramme peut difficilement s’appliquer à Star Wars : le terme exact serait plutôt une ‘’projection volumétrique’’ créée par un affichage volumétrique. Cependant, étant donné que le terme d’hologramme renvoie dans l’imaginaire collectif l’image des projections en trois dimensions visibles dans les films de science-fiction, nous continuerons dans cet article à parler d’hologrammes, car la définition originelle n’est plus vraiment d’actualité.
Aujourd’hui, beaucoup de technologies inspirées des hologrammes voient le jour, mais peu d’entre elles parviennent vraiment à créer une projection tridimensionnelle. Tout d’abord, les hologrammes présents sur les cartes bleues et les passeports pour compliquer la falsification ne sont appelés ainsi que par abus de langage, car l’image n’est pas vraiment visible en trois dimensions.
En dehors de ce cas, une majorité de technologies dites ‘’holographiques’’ ne sont que des illusions d’hologrammes. Depuis peu, on assiste à la démocratisation des ventilateurs holographiques, qui donnent l’impression d’une image flottant en l’air. En réalité, c’est une bande LED accrochée à un ventilateur tournant à très grande vitesse qui donne cette impression d’image flottante. Un autre exemple d’illusion est le ‘’fantôme de Pepper’’, conçu et popularisé par le chimiste John Henry Pepper dans les années 1860. Cette technique se sert d’un support semi-réfléchissant comme un tissu, du verre métallisé ou du plexiglas pour réfléchir une image. L’image est affichée sur un écran généralement caché dans le sol de la scène, et le support semi-transparent est incliné à 45° pour réfléchir l’image vers le public. Comme le support est transparent et indiscernable de loin, on peut voir derrière le soi-disant hologramme, qui a l’air de flotter sur scène. C’est cette technique qu’a appliqué le politicien Jean-Luc Mélenchon en 2017 pour réaliser un meeting en temps réel dans 7 villes différentes.
Dans ces deux cas de figures, l’image est en réalité plate, et il n’est pas possible d’évoluer autour pour changer de point de vue. En se déplaçant sur le côté du ventilateur holographique ou du support du ‘’fantôme de Pepper’’, l’image apparaît déformée et l’illusion ne fait pas effet. Ces technologies sont donc plus un moyen de communication qui attire l’attention qu’une technologie utile, avec des applications concrètes.
De vrais hologrammes : l’apport de la troisième dimension
Face à ce problème, des chercheurs et des entreprises essaient de développer de réels affichages volumétriques, qui permettent de créer des hologrammes visibles sous un grand nombre d’angles de vue. En s’inspirant du dejarik de Star Wars, Voxon Photonics a, par exemple, mis au point un affichage volumétrique qu’il est possible d’observer à 360°, le VX1. Une image est projetée couche par couche sur un écran bougeant si vite qu’il est imperceptible à l’œil nu. Selon Gavin Smith, le co-fondateur de Voxon Photonics, construire l’image est équivalent à ‘’construire un château dans le jeu Minecraft’’. Le VX1 ressemble donc un peu à une imprimante 3D, sans matérialisation de l’objet, mais simplement par projection. Grâce à la vitesse du support de projection, notre cerveau combine ensuite les différentes ‘’couches d’images’’, ce qui donne l’impression d’avoir un objet en 3 dimensions en face de soi. L’entreprise a par ailleurs pour projet d’installer ces affichages dans les parcs à thème Star Wars : Galaxy’s Edge, situés aux Etats-Unis, pour simuler des parties d’échecs holographiques.
En novembre 2019, des chercheurs ont même réussi à créer un affichage volumétrique ressemblant à un hologramme en projetant une image sur une bille de polystyrène contrôlée par des ultrasons. Les ultrasons piègent la bille de polystyrène en créant des poches d’air, ce qui la maintient en lévitation. De la même manière que le VX1 de Voxon Photonics, c’est la grande vitesse de la bille de polystyrène (environ 32km/h) combinée à la projection d’une image sur cette même bille qui donne l’impression d’une forme en 3 dimensions. L’équipe de l’université de Sussex est aussi parvenue à établir un retour audio, en faisant vibrer la bille, et même un retour tactile, en stimulant la peau grâce aux ultrasons.
Cependant, un problème subsiste : ces affichages volumétriques ont toujours besoin d’un support de projection. Contrairement à Star Wars ou Avatar, il n’est pas possible de passer sa main à travers l’hologramme, ou d’interagir réellement avec ce dernier. Ce problème est compliqué à résoudre, car il n’est pas possible de projeter ou de créer une image à partir de rien, un médium est nécessaire. Une solution potentielle pourrait alors être de créer des hologrammes par ionisation de l’air, c’est-à-dire en transformant les molécules d’air en plasma. Grâce à des lasers femtoseconde (10-15 seconde), il est possible d’arracher des électrons aux molécules d’air pour les charger. Ce processus crée du plasma, qui émet de la lumière. L’énergie des lasers, qui est assez puissante pour brûler des tissus humains en cas de longue exposition, est ici sans danger, car l’énergie dégagée par un laser femtoseconde est très faible. Cette énergie est juste suffisante pour permettre une sensation tactile au toucher de l’hologramme, sans conséquences néfastes pour la santé. La technologie n’en est qu’à ses balbutiements, car la taille de l’hologramme est très réduite et qu’il n’est pas possible de choisir la couleur de l’hologramme, mais elle reste néanmoins prometteuse.
Utilité et conséquences des hologrammes
Face aux progrès des technologies holographiques avec un support de projection, il est aussi légitime de se demander si le fait de pouvoir toucher et ‘’traverser’’ un hologramme est vraiment nécessaire. Cela permettrait de se rapprocher des hologrammes que l’on voit dans les films, mais en a-t-on vraiment besoin ? Les avantages des hologrammes résident-ils dans l’interaction que l’on a avec ce dernier ?
Même si l’hologramme est une image projetée sur un support, et qu’il n’est pas possible de le ‘’manipuler’’, les avantages sont nombreux. Tout d’abord, dans le domaine médical, les affichages volumétriques pourraient aider le personnel médical apprenti à mieux visualiser le corps humain, réaliser des simulations, et s’entraîner en ayant une image du corps en temps réel. Les applications militaires sont aussi nombreuses : la modélisation du terrain en relief et la visualisation d’infrastructures et de véhicules en trois dimensions permettent de détenir un avantage non négligeable. Établir des stratégies est beaucoup plus facile en ayant conscience de l’environnement dans sa globalité. Le divertissement peut bénéficier grandement des hologrammes : des jeux vidéo aux parcs d’attraction, ou même à l’art, ce secteur peut être bouleversée par l’apport de ces projections tridimensionnelles. Le champ des possibilités artistiques ou publicitaires est agrandi avec les hologrammes.
Un avantage non négligeable reste cependant exclusif aux technologies d’ionisation de l’air. L’interactivité, qui est la possibilité de manipuler l’objet et d’en modifier les propriétés, ne peut être obtenue que par un hologramme qui peut être touché. Comme dans Iron Man, il devient alors possible d’interagir avec les projections, voire d’y être à l’intérieur. Ces hologrammes feraient pleinement partie de notre environnement.
Cette technologie ouvre aussi la voie vers des interfaces augmentées avec du relief, sur nos téléphones, écrans, ou tout autre médium ordinairement en deux dimensions. L’apport de cette troisième dimension, et plus particulièrement la possibilité d’interagir avec elle, pourrait complètement changer nos rapports avec notre environnement. C’est le cas dans le court-métrage HYPER-REALITY, réalisé par Keichii Matsuda[1]. La protagoniste évolue dans un monde ‘’où les réalités physiques et virtuelles ont fusionné’’. Ce court-métrage montre bien les possibilités ouvertes par une telle technologie, mais aussi les dérives qui peuvent en résulter. Il est nécessaire de progresser avec prudence : voulons-nous vraiment d’un monde où tout peut être augmenté par des hologrammes, au risque d’être noyé sous ces images virtuelles ? Contrairement à la réalité augmentée, dont il est possible de se couper en enlevant les lunettes ou en quittant l’application, il n’est pas possible d’arrêter de voir un hologramme, car le principe de ce dernier est précisément de pouvoir être vu sans matériel spécial. Les hologrammes seraient beaucoup plus intrusifs que de simples bornes publicitaires, car ils ne sont pas limités à un support de projection. Il faut garder ces enjeux en tête en développant de telles technologies. Quoi qu’il en soit, avec le niveau de connaissances actuel, les hologrammes restent très compliqués à développer, et leur coût est conséquent.
En attendant que cette technologie se démocratisent, il ne nous reste plus qu’à regarder à nouveau les classiques de science-fiction, dont les hologrammes font partie intégrante. Dans quelques années, les échecs holographiques ne seront peut-être plus seulement à bord du Millenium Falcon. Du moins, je l’espère.
Par Antoine F.
[1] Bien que la technologie de ce court-métrage semble être la réalité augmentée, le fait qu’il paraisse impossible d’y ‘’échapper’’, ou de ne pas utiliser cette technologie, fait écho aux technologies holographiques.
Sources
6 ways holograms play an important role in Star Wars storytelling, Amy Richau (Star Wars, 2019)
Lippmann’s and Gabor’s Revolutionary Approach to Imaging, Klaus Biedermann (The Nobel Prize, 2005)
More than a hologram: Star Wars-inspired tech you can buy right now (CNET, 2019)
Un hologramme en 3D que l’on peut toucher comme dans Star Wars, Fabrice Auclert (Futura Sciences, 2019)
Hirayama, R., Martinez Plasencia, D., Masuda, N. et al. (2019), A volumetric display for visual, tactile and audio presentation using acoustic trapping. Nature 575, 320–323
Plasma Fairies: Femtosecond Laser Holograms, H. M. Doss (Physics Central, 2015)