En octobre 2021, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, publie un document expliquant sa « vision stratégique » quant à l’avenir de l’armée française. Selon lui, « la conflictualité a évolué » et il est temps d’abandonner les visions d’hier, fondées sur les notions de « paix-crise-guerre », pour une vision actualisée, reposant sur le triptyque « compétition-contestation-affrontement ». Cette réflexion prouve que l’armée française cherche constamment à s’adapter aux nouvelles problématiques mondiales afin de conserver un hard power (puissance militaire) important. Aujourd’hui, quelle est l’influence du hard power français face aux grandes puissances historiques et émergentes ?
Par Lilia El Karoui, membre de Diplo’mates
Hard power : concept défini comme la capacité d’un corps politique à imposer sa volonté sur d’autres à l’aide de moyens militaires, économiques ou politiques.
Une puissance historique …
L’armée française a toujours été un instrument de puissance majeur, de Napoléon Bonaparte à la conquête coloniale. Aujourd’hui, c’est en Afrique que la puissance militaire française est la plus présente, dans le cadre de coopérations avec les armées de ses anciennes colonies. Dans les années 1960, elle se dote de l’arme nucléaire et fait désormais partie des neuf pays détenteurs dans le monde. Elle est considérée comme la 3ème puissance nucléaire, se classe 3ème exportateur mondial de matériel militaire et dispose probablement de la cinquième armée du monde.
… Engagée dans la plupart des conflits mondiaux …
Le hard power est militaire, mais il se met également au service de causes humanitaires. En témoigne la mission de soutien initiée en faveur de Beyrouth et du peuple libanais après la double explosion du port de la capitale, qui a coûté la vie à au moins 218 personnes le 4 août 2020. En moyenne, 12 000 soldats français étaient engagés, chaque année, dans des opérations extérieures (OPEX) ces dernières années, soit l’équivalent du bataillon américain pour le seul Afghanistan avant le retrait des troupes opéré sous la présidence Biden en août 2021.
… Mais qui tend à montrer ses limites
Bien que le secteur de la Défense représente encore 2% du PIB français, l’armée a beaucoup souffert des coupes budgétaires subies depuis une dizaine d’années. Elle a aussi renoncé à ce qui constituait son originalité depuis la Guerre froide : son indépendance des grandes puissances. En effet, depuis 2010, la France n’a plus engagé ses seules armées sur un terrain d’opération hormis lors d’interventions urgentes (Sahel 2011) : en Libye, elle dépendait des Etats-Unis pour le renseignement ou le ravitaillement et bénéficiait des drones américains.
De même, un rapport de l’Institut Montaigne, pointe l’inadaptation des armées françaises aux nouveaux conflits hybrides tels qu’ils prennent forme en Ukraine ou encore en Syrie. Ces guerres mêlent plusieurs dimensions : légales et illégales, civiles, militaires, diplomatiques, économiques, informationnelles (rumeurs, fake news) – le renseignement étant devenu une composante essentielle du hard power.
Les nouvelles menaces qui pèsent sur la France et ses alliés ont conduit l’exécutif français à augmenter le budget militaire (plus 25 milliards d’euros alloués de 2017 à 2022).
Un hard power influent en Europe…
La France représente 30% de la base industrielle et technologique de défense européenne et désire accroître ses ventes d’armes. Elle plaide également pour plus de souveraineté européenne, notamment en réponse au désengagement des troupes américaines accéléré sous Donald Trump. Mais, ses voisins européens – notamment de l’Est – trouvent encore la plupart du temps que le parapluie militaire américain est bon marché et très efficace face à la menace russe.
… Mais qui peine à faire entendre sa voix face aux plus grandes puissances mondiales…
Les États-Unis conservent une influence majeure sur la plupart des conflits mondiaux et des organisations internationales : le véto de la France en 2003 contre la guerre en Irak ne les a pas empêchés de mener le conflit – illégalement. Le volte-face australien pour son équipement en sous-marins -qui a préféré se tourner vers les États-Unis, dans le dos de Paris, faisant tomber à l’eau le « contrat du siècle »-, le gain de terrain de la Chine dans le Pacifique, ou encore son influence contestée en Afrique par Xi Jinping illustrent les difficultés de la France à faire face à ces deux géants. Les Américains consacrent 700 milliards de dollars à la défense, ce qui représente 36% du budget de la défense dans le monde, et les Chinois plus de 200 milliards de dollars.
… Et fait face à des divisions internes.
La France, patrie des droits de l’homme, de la liberté, de la fraternité, et des révolutions populaires compte cinq États autoritaires parmi ses dix premiers clients en matière d’armement. Les armes qu’elle a vendues à l’Arabie Saoudite, son premier client, sont suspectées d’avoir servi lors de l’intervention au Yémen. L’Égypte, troisième client, lui a commandé trente Rafales en mai, ce qui a valu au général al-Sissi d’être décoré de la légion d’honneur, provoquant une indignation générale. Ces trois pays, ainsi que le Qatar, son quatrième client, ne sont pas des modèles en matière de respect des droits de l’homme. Ces contradictions ont amené la rédaction d’un rapport fin 2020 qui appelle à plus de contrôle du Parlement sur les ventes d’armes.
Alors que les experts encouragent les politiques à pratiquer le smart power, combinaison du hard et du soft power, la France sera-t-elle en mesure de réussir ce défi ? Ou la réalité supplantera-t-elle l’imaginaire ?