Par Charlotte Rohmer
Novembre 2017. Campus de l’em, Ecully. J’assiste à une conférence organisée par le Collectif Olympe sur les femmes et l’argent. Au micro, une jeune femme, diplômée du PGE dans les années 2010, nous raconte l’entretien d’embauche ayant mené à son premier emploi après l’école. Après un long processus de recrutement, elle et un garçon de sa promotion entrent dans un grand groupe, au même poste, après un parcours académique on ne peut plus similaire. Ce n’est que quelques années plus tard, alors qu’elle s’interroge sur une éventuelle promotion, que cette jeune femme apprend de son camarade, dans une discussion triviale, qu’il a été embauché avec un salaire de 10% supérieur au sien le jour de leur entrée dans l’entreprise.
Stupéfaction. A-t-il négocié son salaire en vantant des compétences, une expérience personnelle qu’elle n’aurait pas et qui justifierait une telle différence ? Il lui assure que non. Tentant de comprendre, notre diplômée se rapproche du RH l’ayant recrutée à l’époque, et lui pose franchement la question. La réponse tombe, nette et tranchante : « je t’ai recrutée à 25 ans, je me suis dit que d’ici tes 30 ans tu ferais peut-être des enfants, alors je t’ai donné la fourchette basse ».
Sans s’indigner de l’attitude décomplexée du RH donnant cette justification en la pensant bien fondée, une question se pose : comment est-il possible qu’à l’heure actuelle en France, certaines entreprises estiment normal de payer moins une femme qu’un homme au même poste, sous prétexte qu’elle va potentiellement avoir des enfants à moyen ou long terme ?
Pour répondre à cette problématique, il nous faut entrer dans le cœur du sujet. Finalement, la raison majeure pour laquelle une entreprise craint qu’une employée devienne mère, c’est le congé maternité. Cette absence va impliquer des conséquences financières tout d’abord, mais aussi humaines pour l’entreprise.
En France, l’Etat prévoit une durée de 16 semaines du congé maternité pour un premier ou deuxième enfant, durée qui peut monter jusqu’à 26 semaines à partir d’un troisième enfant. Sachant qu’un salarié du privé travaille en moyenne 45,6 semaines par an (sur 52), on peut comprendre qu’un congé maternité implique beaucoup d’ajustements. Concrètement, que signifie-t-il pour l’entreprise ? Se séparer d’une employée pendant plusieurs semaines en continuant dans certains cas de lui payer son salaire (si convention collective), et en la faisant remplacer par un contrat temporaire en parallèle, assurant ainsi peu ou prou deux salaires. Vient ensuite l’aspect humain : il faut recruter une nouvelle personne le temps du congé maternité, la former sur le poste, et bien sûr la rémunérer. Le jour où la nouvelle maman revient dans l’entreprise, son poste doit avoir été conservé et elle peut donc reprendre son travail dans les mêmes conditions qu’avant son départ.
Un salarié homme n’implique pas ce type de préoccupations à l’embauche ; le congé paternité en France ne s’élève qu’à onze jours. S’ils souhaitent s’absenter plus longtemps, les nouveaux papas doivent utiliser leurs jours de congés payés, ce qui arrive d’ailleurs de plus en plus fréquemment.
Onze jours, contre seize semaines. Une phrase résume pourquoi tant de femmes craignent d’annoncer leur grossesse à leur employeur, avec toutes les conséquences et changements que cela va impliquer. Un homme salarié ressent-il autant d’appréhension en apprenant à son entreprise qu’il va devenir père ? Autre que des raisons biologiques évidentes, qui justifient un certain temps d’arrêt de travail pour une femme enceinte, on peut s’interroger sur la légitimité d’une différence de congé aussi drastique entre deux parents. La société française conserve malgré tout certaines idées bien ancrées, comme celle selon laquelle la femme est celle qui doit mettre sa carrière entre parenthèses, et l’homme assurer la vie du foyer grâce à son travail. Les mentalités évoluent, mais le chemin jusqu’à une répartition homme/femme plus juste dans la famille reste encore long et semé d’embûches.
Certaines pistes restent toutefois à explorer, comme le congé parental en Norvège qui prévoit une dizaine de mois à se partager entre les deux parents, à leur convenance, avec trois mois chacun impossibles à compresser. Certes, financer le congé maternité ou paternité représente une charge financière non négligeable pour un Etat – en France, c’est l’assurance maladie qui la paie dans la plupart des cas, plus rarement l’entreprise – néanmoins ce chiffre est à mettre en perspective. En effet, il existe aujourd’hui un manque de places en crèche très important en France, de l’ordre de 250 000 places. Sachant qu’un enfant en crèche coûte en moyenne 1700 euros par mois à l’Etat, peut-être serait-il plus intéressant d’allonger le congé paternité ou bien de créer un congé parental à répartir, selon le modèle d’autres pays européens, afin de permettre à chacun des deux parents de profiter de l’arrivée de leur enfant sans ressentir l’épée de Damoclès planante quant à leur retour dans la vie professionnelle.
En cette Women’s week, je me permets d’espérer qu’un jour en France, les couples pourront envisager de fonder une famille sans que cela signifie discrimination à l’embauche ou au retour au travail, ni que la carrière de l’un doive nécessairement en pâtir au détriment de celle de l’autre. Il convient de rappeler que la durée du congé maternité en France n’a pas bougé depuis 1980. Rendez-vous dans quarante ans ? Espérons plus tôt.