Riche d’un parcours impressionnant dans les médias, Stéphane Père, ancien étudiant à l’emlyon, a commencé sa carrière chez Canal +, avant de travailler chez Yahoo, puis de rejoindre le célèbre journal « The Economist », où il assurera notamment le rôle de Chief Data Officer ainsi que des fonctions au comité exécutif. Nous sommes revenus avec lui sur les différentes étapes de sa carrière.
Pouvez-vous vous présenter ?
Stephane Père, 42 ans, je suis diplômé d’un master en droit d’auteur, ainsi que du programme grande école de l’EM Lyon, où j’ai rencontré ma femme.
Pourquoi ce passage de la faculté de droit à l’emlyon ?
A l’époque j’étais en maîtrise de droit privé, et je me suis rendu compte que je n’avais pas envie d’être avocat ou juge. Après avoir assisté à des procès j’ai réalisé que j’aimais la Justice, mais pas forcément l’appareil de justice. Je décide donc de me concentrer sur les entreprises : connaitre le monde de l’entreprise, et l’international, afin de pouvoir être à la fois acteur du business et spécialiste du droit des medias.
Qu’as-tu retenu de ton passage à l’emlyon?
Un cours obligatoire de négociation, le premier cours consistait en une simulation de vente filmée. Malgré mes réticences, je me suis lancé, et contre toute attente cela a été un succès. Cette expérience m’a ouvert les yeux sur toutes les opportunités professionnelles liées à la négociation.
Quelles compétences acquises en école de commerce t’ont servi par la suite ?
A l’emlyon on développe la compétence de développer des compétences. L’important c’est le lien entre les sujets, variés, qui étudiés en silo sont plus ou moins intéressants. Une fois sorti de l’école, on a un éveil, une compréhension des différents leviers de l’entreprise. Ce qui nous aide par la suite, en entreprise, à développer des compétences concrètes.
“A l’EM on développe la compétence de développer des compétences”
Tu commences ta carrière chez Canal + en tant que TV and Print international account manager, qu’est-ce que ce poste concrètement ?
Je m’occupais de vendre des solutions de publicité TV ou presse à l’étranger, en allant voir en amont des annonceurs au Japon, Corée, Allemagne etc pour les convaincre d’investir sur Canal + France. Par ailleurs j’animais un réseau commercial d’agents, chargés eux-mêmes de vendre ces solutions.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de commencer chez Canal + ?
Au départ je ne voulais pas forcément m’orienter dans le domaine de la publicité. A l’origine comme j’aimais la négociation et le droit, je voulais faire de la négociation de droits : c’est pour cela que j’ai fait un stage dans la vente de droits de retransmission chez Eurosport, ce stage s’est très bien passé et devait déboucher sur un CDI ! Malheureusement un gel des embauches a empêché la concrétisation de cette opportunité. Suivant le conseil de ma manger de l’époque, que je considère comme une mentor, je tente un expérience commerciale sur des sujets liés à la publicité, un autre aspect du business model de la télé. Cela correspondait aussi, à terme, à mon envie d’avoir un rôle de leadership dans un grand média. Canal + me paraissait très intéressant, de par son aspect international.
Qu’est-ce qui a motivé ton passage chez Yahoo ? Avais-tu fait le tour chez Canal + ?
Malgré des propositions d’avancement intéressantes chez Canal +, je souhaitais me recentrer sur des notions de complexité, de diversité dans un marché etc, J’ai fait le pari de l’online, évident aujourd’hui, et je suis allé chez Yahoo, car il y avait une volonté d’embaucher des gens qui ne parlaient pas technique mais média traditionnel. Il fallait positionner le online comme un media à part entière.
Dans ce nouveau rôle tu as été confronté à l’industrie de l’automobile et de l’énergie, où pourtant tu n’avais pas d’expériences significatives, comment s’est passée ton adaptation à ces milieux ?
On en revient à la capacité à développer des compétences : je me suis abonné à des magazines, j’ai fait des salons, pour avoir de la substance et comprendre l’industrie, j’ai fait un exercice de veille pour être au niveau.
Il n’y a pas de problème à assumer un job dans une industrie que l’on ne connaît pas ou qui ne nous intéresse pas de prime abord. C’est une prise de position intéressante, quand on n’est pas passionné par un sujet, on est plus objectif, on a un regard plus affûté.
Tu décides par la suite de travailler chez « The Economist », pourquoi avoir changé d’entreprise ?
A ce moment-là je décide de raccrocher mes compétences à mon projet de cœur : je suis passionné d’information, je travaillais en rédaction pendant mes études, mon mémoire de master était sur la définition de l’information. Je suis parti chez « The Economist » avec pour projet de mettre mes compétences au service d’une cause à laquelle je croyais : « The economist », que l’on soit d’accord ou pas avec ses opinions, est un média d’ouverture qui façonne l’information. Je me suis rendu compte que je devais rejoindre un endroit où le job et la mission me correspondaient.
A terme, tu es devenu VP et Head of Ideas People Media, tu as aussi commencé à travailler à NY. Tout d’abord qu’est-ce qu’un “Head of Ideas People Media” ?
A mon entrée dans le groupe j’ai vendu de la pub sur “The Economist”. En ligne, rapidement j’ai identifié une opportunité : notre audience n’étant pas assez importante, nous n’avions pas assez d’inventaire à vendre aux annonceurs. Afin de faire de la croissance j’ai proposé une alliance avec d’autres médias pour élaborer une plateforme qui pouvait concurrencer un « Financial Time » ou un « CNN ». En 2010 j’ai donc lancé un réseau publicitaire qui permettait aux annonceurs de toucher les leaders d’opinion. Cette alliance, d’une soixantaine de site média, nous a permis d’avoir une couverture importante. J’ai participé au business plan, et je suis parti à New-York lancer l’activité.
Quelles différences dans la culture du travail entre les Etats-Unis et la France ?
Une facilité à rencontrer des gens. Les Américains ont toujours l’idée de ce dire « il faut que je parle à cette personne, c’est peut-être the next big thing ». Cette capacité à rencontrer les acteurs du marché est impressionnante.
Le projet s’est bien passé, j’ai par la suite repris la direction commerciale du media classique de « The Economist » pour la côte Est. Après 3 ans je rentre en France. Ma mentor de l’époque, directrice marketing, me demande un jour de lui préparer un mémo sur le rôle d’un Chief Data Officer et ses implications pour « The Economist ». Trois semaines plus tard, j’ai un coup de téléphone où on me propose le job.
Peux-tu m’expliquer le rôle de Chief Data Officer chez « The Economist » ?
Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’il y a toujours un contexte pour ce type de travail, je peux te parler du rôle de CDO chez « The Economist », mais le même poste sera différent dans une autre entreprise.
Si on veut bien faire notre travail de Publisher nous devons mieux identifier et comprendre nos lecteurs potentiels, nos abonnés et nos audiences digitales afin de les convaincre de s’abonner puis les fidéliser. Les démarches du CDO doivent soutenir l’éditorial, le produit, la publicité, l’abonnement. Pour cela il faut créer une capacité à développer des insights avancés via une compréhension omni-canale de nos clients. De plus, pour toucher et engager il faut une capacité à activer la donnée dans un contexte marketing, créer des parcours clients personnalisés. Concrètement, il y a une brique insight et une brique activation marketing (que ce soit pour des solutions publicitaires pour nos annonceurs ou pour nous-même afin de marketer nos propres produits et services). Les solutions Data sont au service de tous les métiers de l’entreprise. C’est cela que j’ai mis en place pendant cinq ans.
Tu as ensuite intégré le comité exécutif, en tant que « Executive Vice President », peux-tu nous décrire ton day-to-day ?
Plus précisément après 3 ans, mon rôle de CDO a été élevé au COMEX. Cela démontrait l’importance stratégique de la data pour notre groupe. Le but était de faire le lien entre différentes initiatives business, et mettre en place un soutien analytique et technologique adapté. Bien sûr il fallait aussi arbitrer les allocations de budget, les conflits éventuels, mettre de l’huile de coude dans les équipes.
L’année dernière je me suis attelé à un nouveau challenge, j’ai proposé à mon PDG d’identifier comment le traitement de donnée à grande échelle via le web, le GPS, les images satellites, pouvait transformer notre deuxième métier, celui de l’intelligence économique « The Economist Intelligence Unit ». Pendant un an je me suis attelé à identifier des nouveaux usages, des nouvelles start-ups qui transforment la manière de faire de l’intelligence économique en temps réel, par exemple l’observation des productions de céréales aux USA prédites par une analyse satellitaire ou mesurer les exports de pétrole par bateaux entre l’Iran et d’autres pays en temps réel. Tout ce qui permet de faire des mesures fines et fréquentes.
En guise de mot de la fin, un conseil pour les étudiants qui auraient du mal à cadrer leur projet professionnel ?
Il faut s’entourer et écouter des personnes que l’on va considérer comme des mentors. Il faut parler avec des gens qui travaillent dans différentes industries. Cela va permettre de tisser des fils. Surtout pendant l’école de commerce, maximiser l’opportunité de faire des stages pour s’exposer à différents métiers : pendant ces stages identifier des mentors, et garder des liens avec eux, parce qu’ils vont servir tout au long d’une carrière.