Article d’opinion inspiré du RECAPSS « Le monde militaire : entre clichés et réalités » menée par Emmeline ASSELIE, Caroline BARAT, Valère BOUQUET, Cédric MARIE, Victoire POURET et Lise VERGER, sous la direction du professeur de sociologie David Courpasson.
Par Victoire Pouret, rédactrice pour le M
Mon père est général de brigade dans l’armée de Terre, mes deux frères sont saint-cyriens. Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, je peux affirmer qu’ils ne sont ni des bourrins assoiffés de sang ennemi, ni des misogynes attardés. Ni d’envoûtants et surpuissants James Bond, d’ailleurs.
J’aimerais lire et entendre dire plus souvent que l’armée française est la plus féminisée d’Europe, ou que la plupart des militaires sont sensibles à la beauté des chants et du cérémonial qui rythment leur quotidien, ou que la psychologie est désormais introduite au sein de l’institution jusque sur le champ de bataille.
Si la récente victoire du chœur de St-Cyr à « La France a un incroyable talent » a su projeter sur scène et ancrer dans le débat national l’institution militaire – quand bien même celle-ci reste en marge de la société civile pour des raisons de secret défense mais aussi parce que les valeurs qu’elle prône sont de plus en plus en décalage avec celles contemporaines-, cette réussite ne suffira évidemment pas à redorer le blason de l’armée française, en proie à bon nombre de clichés et caricatures hâtives, que je tente ici de corriger.
D’après l’étude « Classe populaire et engagement militaire : des affinités sélectives aux stratégies d’insertion professionnelle », rédigée par Elyamine Settoul et réalisée auprès de jeunes provenant de zones dites sensibles, le recrutement militaire est perçu comme le recrutement le plus honnête, le plus juste et le plus équitable pour accéder à l’emploi, à la différence d’autres procédés civils jugés discriminants. Raison pour laquelle, probablement, l’actuel ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, qui préfère qu’un jeune « ait un militaire pour idole plutôt qu’un islamiste radical ou un caïd », a mis en place, au sein de l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, pour les jeunes délinquants âgés de quatorze à dix-sept ans, un « parcours d’inspiration militaire ». Sur les cinq mois de leur séjour en centre éducatif renforcé, ils passeront cinq semaines auprès des militaires, en binôme avec un élève officier, puis deux semaines sur un chantier de génie écologique et enfin une semaine de découverte de l’institution militaire, avec pour objectif de créer un esprit de solidarité et de cohésion.
« Le recrutement militaire est perçu comme le recrutement le plus honnête, le plus juste et le plus équitable pour accéder à l’emploi, à la différence d’autres procédés civils jugés discriminants. »
Par la fraternité d’armes, la promotion au mérite, la défense des intérêts et de l’identité de la collectivité ou encore l’égalité de traitement, l’Armée reste un espace structuré par des valeurs fortes, qui apporte aux recrues des règles simples et claires.
Cette égalité de traitement bénéficie aux recrues comme aux haut gradés, aux hommes comme aux femmes : en matière de rémunération, l’Armée n’a rien à se reprocher. Une femme militaire gagne le même niveau de salaire qu’un homme dans le domaine de la Défense et ce, quel que soit son grade. L’attribution de promotions se fait selon le grade et le niveau de compétences de chacun et non selon des « risques » comme la maternité, alors même que cela reste le cas en entreprise.
Plus qu’une féminisation de l’armée, nous assistons depuis les années 2000 à une banalisation de la présence des femmes au sein de l’institution militaire. Dans la Marine, les changements mis en place pour davantage intégrer les femmes sont en réalité bien plus minimes que ce à quoi les marins s’attendaient, les « marinettes » ayant tôt fait d’assumer pleinement les tâches physiques les plus difficiles (missilier, manœuvrier…). Dans la Marine, désormais, il n’y a « pas de femmes, seulement des marins ».
« Plus qu’une féminisation de l’armée,
nous assistons depuis les années 2000
à une banalisation de la présence des
femmes au sein de l’institution militaire. »
Au sein d’une armée de plus en plus décomplexée, où l’empathie est encouragée, la santé mentale est également de plus en plus, et de mieux en mieux, valorisée. Le soldat a désormais le droit d’embrasser sa sensibilité et jouit d’un accompagnement professionnel individualisé. Car nous savons aujourd’hui que l’après de la mort n’est pas du tout traité de la même manière qu’il s’agisse d’un fantassin, au sol avec son fusil d’assaut et noyé dans son unité (c’est donc l’unité qui aurait tué, pas le soldat en lui-même), toujours dans la défense car au contact de l’ennemi, ou d’un artilleur, qui appuie à distance les unités engagées et entend plus qu’il ne voit l’effet destructeur de son tir, ou encore d’un pilote d’avion de combat, seul dans son cockpit, dont la vie n’est pas menacée directement par l’ennemi ciblé au sol et qui voit sur son écran, avec précision, les conséquences de son acte.
Avec cela, et quand bien même parler de ses états d’âme n’est pas toujours quelque chose d’évident pour le soldat, il arrive que la parole se libère :
« Il y a des moments de repos où ça sort tout seul. Je me rappelle en Libye d’un soir où, attablés, sur l’initiative d’un soldat qui nous a parlé à cœur ouvert, par effet boule de neige on a tous commencé à raconter nos peurs, nos angoisses. Un ancien nous a raconté le Rwanda en 92, les horreurs qu’il y avait vues, et c’était la première fois qu’il en parlait. Il y a eu comme une séance de thérapie de groupe, totalement improvisée (sic). »
Lieutenant-colonel Brice Erbland
A l’instar de la conception d’une armée supposément machiste et sexiste, celle d’une armée sévère et peu psychologue, composée de soldats apathiques et insensibles, ne s’avère pas. De plus en plus, sur le théâtre des opérations comme au régiment, aux côtés de la médecine militaire, s’invitent la psychologie et la relaxation, tandis que la parole des soldats eux-mêmes se libère pour faire de l’armée une institution au cœur et à l’esprit ouverts.
Dès lors, le monde de la Défense, malgré la revendication de valeurs qui ne semblent malheureusement plus être à l’ordre du jour, est bien moins une institution archaïque et statique qu’un monde en constante adaptation, dans un univers en perpétuel mouvement. Une vie de soldat n’est que changement : de ville, de grade, de camarades… Et les régiments d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient il y a trente ans. Aussi, pour casser le dos à une idée reçue, nous affirmons que le monde militaire est, plus que d’autres, prédisposé au progrès et à la remise en cause, car son essence même est faite d’imprévisibilité, de l’exigence du combat, qui nécessite une constante adaptation à la contestation et à la confrontation. Même si l’armée a la réputation d’être un corps conservateur, parce qu’attachée à la transmission des traditions et au souvenir, elle s’emploie en permanence à conduire le changement. Après tout, « un peuple sans mémoire n’a pas d’avenir ».