Une école, c’est aussi une image de marque. Un des enjeux pour sa survie est la visibilité. Pour ce sixième article d’Au cœur de Confluence 2025, nous avons interviewé Bruno Tallent afin de saisir les enjeux de la communication pour l’école et les moyens développés pour les résoudre.
Pouvez-vous vous présenter ? Comment êtes-vous arrivé à la direction de l’école ?
J’ai travaillé 30 ans dans de grands groupes de communication internationaux, en adoptant toujours une posture de consultant afin de me consacrer à mon métier d’expert (au-delà de mon rôle de manager d’entreprise) : développer, promouvoir, repositionner et construire des marques. Mon retour à emlyon s’explique par 3 raisons : une volonté de changement de paradigme, un attachement à l’éducation et la transmission, et une opportunité de découvrir un nouvel environnement tout en retrouvant son alma mater. Dans les grands groupes, il arrive un moment où nous passons une trop grande partie de notre temps à faire du management organisationnel et à établir en priorité des reporting financiers, ce qui revient à ne plus faire ce qui m’intéresse et ce que j’aime faire : être consultant, être dans l’opérationnel. Dans le monde du conseil, nombreux sont ceux qui passent chez le client à un moment donné de leur carrière. De plus, j’ai un attachement particulier à l’éducation, que ce soit avec mes grands-parents qui ont tous été professeurs et instituteurs ou encore avec mes expériences en tant que recruteur. Je n’ai jamais vraiment quitté le monde académique et de la formation, j’ai, par exemple, enseigné à Science Po Paris, participé régulièrement Festival de Géopolitique à GEM et j’interviens à emlyon dans le Master Spécialisé Transformation Digitale, Marketing et Stratégie dirigé par Jean-Philippe Timsit. Et finalement ces deux premiers éléments se sont croisés, ont convergé lors d’une rencontre, et en un lieu. Isabelle Huault m’a contacté au cours de l’été 2020 pour avoir le point de vue professionnel d’une personne qui travaille dans la communication concernant l’image de l’école et l’état de sa communication. Après nos premiers échanges, Isabelle m’a proposé d’intervenir en septembre en tant que consultant à l’école sur la redéfinition des contours de la marque emlyon et ses modes d’expression. J’ai occupé parallèlement la fonction de directeur marketing et communication en management de transition ; période au cours de laquelle j’ai notamment dû gérer les relations presse ainsi que certaines situations de crise. Finalement, Isabelle Huault m’a proposé de devenir le 5ème membre du directoire et d’officialiser ma prise de fonction au poste que j’occupais, en transition. Par la suite, au-delà de la responsabilité sur le marketing, la marque et la communication, j’ai repris la direction des relations entreprises. Cela couvre le career center, les partenariats et la formation Executive education sur mesure.
Quelle est la stratégie de communication d’emlyon business school ?
Historiquement, emlyon a toujours eu une culture du « making », elle cultive l’humilité et la valeur de la réalisation. C’est une institution qui fait avant de faire savoir aux autres, le problème est qu’elle ne fait pas forcément savoir ce qu’elle fait par la suite. À mon avis, emlyon n’avait pas mis la communication, et à un degré moindre, le marketing, suffisamment au cœur de sa stratégie d’entreprise. Par ailleurs, la communication était, dans le passé, très centralisée et très incarnée par le top management et gérée de manière très centralisée, parfois même individuellement.
« emlyon a toujours eu une culture du making, elle cultive l’humilité et la valeur de la réalisation. »
L’année 2020 a été particulière. Alors que la direction et la gouvernance étaient en pleine refonte, cela a laissé une fenêtre vacante à de nombreuses attaques médiatiques, parfois répétitives créant un sentiment d’injustice et parfois d’acharnement auprès de nos populations clés, notamment les étudiants et le staff. L’école, à ce moment-là, n’a pas réagi directement, laissant le bruit médiatique négatif s’installer. Depuis l’arrivée d’Isabelle Huault, nous avons au contraire décidé de ne plus subir notre environnement médiatique et d’avoir une stratégie de prise de parole juste, mesurée mais offensive. J’ai ainsi pu redéfinir l’organisation de notre équipe communication ainsi que nos grandes priorités d’action. Nous avons également élaboré nos éléments de langage prioritaires, en fonction des sujets et projets.
“[…] un autre point que l’on ne retrouve pas dans toutes les écoles de commerce et qui est, à mon sens, un choix très pertinent de la part de l’école, est l’intégration des départements marketing et communication au sein de la même direction.”
Les changements les plus importants seront (1) la création d’une direction des contenus destinée, entre autres, à fédérer les équipes de conception et de production, et l’équipe réseaux sociaux, (2) le rapprochement avec tous les communicants de l’école dédiés à des activités spécifiques (sport, incubateur/accélérateur, faculté, campus étrangers, alumni) et (3) la mise en place d’une stratégie de gestion de crise. Pour faire face à la crise, nos process sont maintenant établis avec une plus grande précision ; nous avons notamment établi que j’assumerai le rôle de porte-parole dans ces situations.
Par ailleurs, un autre point que l’on ne retrouve pas dans toutes les écoles de commerce et qui est, à mon sens, un choix très pertinent de la part de l’école, est l’intégration des départements marketing et communication au sein de la même direction. Nous gérons ensemble l’image des programmes en produisant des contenus – corporate et produit – ce qui nous permet d’avoir une approche intégrée dans notre stratégie de génération de leads.
Quelles sont les motivations qui ont conduit au changement d’identité visuelle de l’école ? Changer une énième fois, de logo n’est-ce pas un aveu que l’école se cherche encore ?
Je ne suis pas du tout d’accord avec cette analyse qui suppose qu’une marque qui change d’identité ne sait pas du tout où elle va. Lorsque nous avons conduit l’audit sur la marque emlyon, nous avons identifié plusieurs éléments de diagnostic et donc d’améliorations possibles.
Premier point, la promesse de la marque et de l’école. Une citation de Victor Hugo dit que « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Or, dans le cas d’emlyon, la forme exprimait le fait que le fond n’était pas encore assez clair ; et cela, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, subsistait une tautologie entre early makers et emlyon. D’une certaine manière early makers était égal à emlyon, et inversement. Mais que signifiait concrètement early makers dans cette équation ? Il faut dire que le concept de makers a été surexposé et trop abondamment décliné et utilisé, ce qui l’a desservi et l’a vidé de son sens initial en en faisant pour certains une sorte de gimmick… alors que son origine même est très intéressante. En effet, le concept prend racine dans le mouvement des makers qui s’est développé aux Etats-Unis au début des années 2000 et qui remet l’expérimentation et le fait-main au cœur de la stratégie et de la création de valeur. On retrouve cette culture makers dans l’ADN même de l’école au travers d’éléments structurants et uniques tels que le Makers’ Lab et les Makers’ Projects, c’est pourquoi, plutôt que de faire table rase, nous avons choisi de remettre les concepts au bon endroit, et de leur redonner leur sens et donc leur force. Nous avons donc recentré le branding de l’école autour de la marque emlyon et avons donné un rôle très spécifique à early markers comme la signature pédagogique de l’école i.e. sa façon d’enseigner. À la manière de la signature artistique d’une marque de luxe, early makers est la « griffe » d’emlyon en matière pédagogique. À emlyon, notre singularité s’exprime ainsi : « faire pour apprendre et apprendre pour faire ».
« À emlyon, notre singularité s’exprime ainsi : « faire pour apprendre et apprendre pour faire. »
Après avoir travaillé sur le fond, nous nous sommes penchés sur la forme. Lorsque les entreprises présentaient leurs partenaires, le logo d’emlyon était reconnaissable mais « emlyon » était difficilement lisible à cause du second carré du logo. De plus, par un jeu d’écriture, emlyon était rendu beaucoup moins visible que « lyon business school » écrit en gras. Nous avions donc ici un problème de branding et de graphisme : tout le monde appelle l’école « emlyon », voire « l’em » et c’est cette appellation que nous devons favoriser et donner à voir. Nous avons donc choisi de faire évoluer le logo en recentrant la marque de l’école sur emlyon mis en gras et dans un seul carré, et en désolidarisant le early makers du logo uniquement, pour le mettre dans notre baseline « early makers since 1872 », accompagnée d’un visuel symbolique représentant un élément de tissage (pour faire référence à notre historique issu de l’univers de la soierie lyonnaise).
On reprend donc ce qui a fait notre histoire et notre identité, on le réorganise et on en fait une force plutôt que de tout changer ; on évolue en optimisant et renforçant plutôt qu’en révolutionnant.
Du côté opérationnel, comment gérez-vous les situations de crise, les attaques directes à l’école ?
Pour gérer les situations de crise, nous avons travaillé sur un plan en deux temps. Cela a commencé avec le travail de réorganisation des équipes de communication et de formalisation des process. Par la suite, nous avons renouvelé nos partenariats : nous avions en effet un partenaire généraliste qui s’occupait des relations presse et de la communication de crise que nous avons remplacé par deux agences spécialisées plus expertes, une dans la relation presse et l’autre dans la communication de crise ; cette dernière nous aide dans nos process et nous conseille dans les moments de crise grave.
Pour faire face à une situation de crise, nous avons établi le process suivant : nous discutons avec la personne qui nous accuse et écoutons son discours avec compassion et empathie pour comprendre les raisons sous-jacentes qui ont conduit certaines personnes à se sentir offensées par ces faits. Nous lançons ensuite une enquête d’investigation pour approfondir nos connaissances sur la situation, et enfin, en fonction de ce que nous découvrons, nous agissons en conséquence et nous communiquons dessus, si cela est nécessaire.
Pourquoi avoir allié communication et employabilité dans une même fonction ?
Les sujets gérés par les équipes marketing et communication rejoignent beaucoup ceux des équipes entreprises. Les publics visés se recoupent aussi beaucoup.
Nous souhaitons renforcer notre proximité avec le monde des entreprises, sur le territoire, au niveau national et international. Probablement que mon profil et mon expérience passée en entreprise sera intéressant et utile à emlyon.
Quels sont les objectifs employabilité de l’école ?
Dans le classement employabilité, notamment celui du Times Higher Education, nous sommes très bien classés – deuxième école française – et notre objectif est de conforter cet avantage et ce positionnement, mais d’aller toujours plus loin. Pour ce faire, deux points d’attention sont à souligner :
1. Être à l’écoute des entreprises pour que nos étudiantes et étudiants soient formés aux métiers de demain et répondent à leur demande de recrutement et inversement, garantir une employabilité de qualité aux diplômés d’emlyon,
2. Être à l’écoute des étudiantes et étudiants pour leur proposer de nouvelles possibilités adaptées à leurs envies. Par exemple, dans les années 1980, une majorité d’étudiantes et étudiants du PGE se dirigeaient vers l’audit. Aujourd’hui, on voit que l’attention se porte aussi sur les cabinets de conseil, la finance de marché et d’entreprise, et demain peut-être les ONG ?
« Dans le classement employabilité, notamment celui du Times Higher Education, nous sommes très bien classés – deuxième école française – et notre objectif est de conforter cet avantage et ce positionnement, mais d’aller toujours plus loin. »
Notre travail est de créer des connexions et d’accroître la légitimité de l’école en fortifiant la relation avec les acteurs existants. Pour ce faire, nous engageons des discussions transversales avec les entreprises, c’est-à-dire que nous évoquons avec elles des participations aux événements du Career Center pour qu’elles puissent être visibles auprès d’un maximum d’étudiants en travaillant avec elles leur image de marque auprès de ce public. Par ailleurs, nous leur proposons aussi des partenariats plus complets, comme la participation à des instituts et/ou chaires avec la faculté d’emlyon business school. Nous leur proposons également des programmes de formation sur mesure en entreprise pour leurs collaborateurs. Nous essayons aussi de créer des connexions entre l’école et le monde de l’entreprise via le réseau des alumni de l’école. Mon projet est de créer des cas pédagogiques pratiques, issus de situations réelles, en binôme, entre alumni et professeurs, qui seraient enseignés dans nos programmes et permettraient ainsi de reconnecter, davantage encore, l’école et les anciens.
Comme vous le voyez, les projets sont multiples, ambitieux et inspirants. À l’aube de la célébration des 150 ans de l’école, nous avons tous les atouts pour écrire ensemble – étudiants, alumni, professeurs, staff, partenaires – les plus belles pages de notre histoire, car le meilleur reste à venir.
Merci à Bruno Tallent pour son temps et ses réponses à nos questions.
RETOUR SUR LE PARCOURS DE BRUNO TALLENT
Riche d’une carrière professionnelle de plus de 30 ans dans les plus grands groupes de communication et de marketing internationaux (Omnicom, Havas, IPG), Bruno Tallent collabore avec de grandes marques, des entreprises nationales et internationales comme Air France, Danone, Groupama, Nespresso, L’Oréal ou encore Schneider Electric et plein d’autres ! Après 5 ans chez BDDP et 4 ans chez Havas, il rejoint le groupe TBWA France pour 15 ans en tant que Vice-Président et Directeur de l’Intégration, et lance en 2010, un nouveau modèle d’agence intégrée au réseau TBWA, BEING. En 2015, il rejoint McCANN en tant que Président & CEO France. Sous son impulsion, la réputation de l’agence en France est redorée au point qu’en 2019, McCANN devient la première agence française aux Cannes Lions, soit le premier classement mondial en matière de créativité. Parallèlement à ses missions de consultants en communication, il exerce des fonctions de management depuis plus de 15 ans.
Par Carole Zheng et Colin Faguet, rédacteurs chez Verbat’em