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L’interview de Nathan Juglard, Key Account Manager France chez Preligens et alumni d’emlyon

Nathan Juglard est un alumni d’emlyon pleinement engagé dans le secteur de la Défense. Après avoir fait ses gammes chez Thalès, il a intégré une start-up du secteur numérique de l’IA dont la mission est d’offrir les meilleures solutions technologiques pour répondre aux enjeux de sécurité internationale. Les applications développées par Preligens sont bien connues des initiés. Florence Parly, ministre française des Armées, déclarait en octobre 2020 : “Les applications de Preligens sont essentielles pour notre secteur de la défense: sans Preligens, nous ne verrions pas certaines choses.” Pour le M, il a accepté de revenir sur son parcours et son activité.

Interview menée par Clémence le Forestier et Sara Zoufi, de Diplo’mates

Quel est ton parcours académique ? 

Après avoir obtenu mon baccalauréat, j’ai passé le concours commun des IEP ; j’ai alors atterri à Science Po Lyon qui était un de mes premiers choix parce que j’avais une appétence pour l’international. Je me suis intéressé à l’Extrême-Orient et principalement au Japon et à la Chine. L’actualité d’alors, résumée par le pivot asiatique d’Obama, laissait penser que l’indopacifique avait de plus en plus d’importance sur la scène internationale voire qu’elle était devenue le centre du monde. Lors de ma 3e année, j’ai fait un échange à UCLA en Californie. Je me suis engagé dans la majeure science politique, ce qui me permettait de suivre des cours sur l’importance de l’Asie. En mineure, j’ai intégré l’école militaire de UCLA où je suivais des cours sur la culture de l’armée de l’air : comment organiser des batailles par exemple. J’ai aussi suivi des cours sur le monde de l’entreprise et c’est ce qui m’a poussé à faire un double diplôme avec emlyon en revenant en France, avec l’envie de m’intéresser au monde du privé aussi bien qu’à celui du public. 

Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?

J’ai fait mon stage de fin d’études à Thalès au poste de business developer, ce qui m’a permis de trouver un bon compromis avec la géopolitique. J’étais chargé d’affaires sur l’Asie (continent que je connaissais bien) et sur l’Afrique (continent que je ne connaissais pas du tout). Cela m’a permis de m’intéresser à la politique locale, aux tensions, ou à la piraterie, par exemple. Ce stage représentait un bon compromis entre ma formation de Science Politique et ma formation managériale à emlyon.

Puis j’ai fait un stage à l’Etat Major de l’armée de l’air, que j’ai beaucoup aimé, mais qui ne m’a pas donné envie de revêtir l’uniforme. On m’a proposé d’être réserviste et je me suis un peu plus intéressé à tout ce qui touchait à la réserve opérationnelle de l’armée de l’air. C’est toutefois administrativement compliqué et il faut compter une bonne année de formation, répartie entre les vacances, au cours de laquelle on s’imprègne d’une réelle culture militaire. Aujourd’hui, mon activité de réserviste me prend 30 à 40 jours par an : j’écris des notes de synthèse, je fais de la veille géopolitique et industrielle. Je travaille essentiellement sur les thématiques de l’innovation et du numérique.

Puis je suis allé à Bruxelles pour réaliser un stage à l’OTAN. J’ai travaillé dans l’investissement de défense : c’est davantage une partie capacitaire. C’était assez intéressant car j’ai mobilisé des connaissances et compétences acquises lors de ma  formation Science Po et à emlyon. Du côté de la géopolitique, on se demandait quels seraient les changements technologiques, voire les menaces militaires, qui apparaîtraient dans les années à venir. J’étais spécialisé dans la cybersécurité de l’aviation – exactement comme dans le film Boîte Noire, 2021 – mais aussi de l’insertion des drones dans l’espace aérien. Si aujourd’hui tout le monde peut acheter des drones, la juridiction et les différentes normes de l’aviation civile ne sont pourtant pas forcément en place et exhaustives.  

Après Bruxelles, j’ai atterri à Dubaï où j’ai travaillé en VIE (Volontariat International en Entreprise) à Thalès pendant 1 an en stratégie. Le fait que Dubaï représentait le centre de Thalès au Moyen-Orient me poussait à m’intéresser à l’actualité de toute la région, qui était géopolitiquement riche, surtout avec l’arrivée de Trump au pouvoir. Puis on m’a proposé un CDI sur place en business development autour de l’innovation et de la transformation numérique. Malgré la crise sanitaire, j’avais un rythme assez exceptionnel : je faisais un business trip par semaine dans les pays de la région : j’ai eu la chance et l’occasion de visiter le Qatar, le Bahreïn, le Pakistan et j’en passe, ce qui compensait l’absence culturelle à Dubaï.  Mais la fusion avec Gemalto a été mal gérée par Thalès et j’ai décidé de quitter le Moyen-Orient et Thalès par la même occasion.

En revenant en France, j’ai commencé à travailler chez Préligens, une start-up du secteur numérique de l’IA. 

As-tu toujours été intéressé par la défense nationale ?  

Quand j’étais petit je voulais être pilote de chasse, mais ce n’était qu’un rêve de gosse. Une partie de ma famille est militaire et je pense que dans mon ADN, il y avait quelque chose qui me poussait vers ce secteur.  

Toutefois, je n’ai pas intégré Science Po dans cette optique-là. Au départ, c’était plutôt la diplomatie économique qui m’intéressait, puis des rencontres ont fait que je me suis plus intéressé au milieu de la défense nationale. Un professeur en deuxième année à Science Po en particulier. Il m’a beaucoup inspiré et mon année d’échange a également joué un rôle décisif. 

Certes, ce n’est peut-être pas le “Bureau des légendes” tous les jours, mais ça reste quand même intéressant.  Les cycles de vente et de négociation sont parfois très complexes et assez longs. Il faut sans cesse s’informer pour prendre en compte l’actualité. Le côté géopolitique n‘est pas à négliger dans ces cycles-là, tout comme le côté commercial et marketing : il faut comprendre les enjeux et les besoins de nos clients, mais aussi connaître ses concurrents, savoir organiser une stratégie… Cela peut prendre beaucoup de temps : chez Thalès les cycles de vente durent au moins 1 an, alors que chez Préligens, cela varie entre 6 et 9 mois. 

Peux-tu nous parler de l’IHEDN ? 

Franchement, je vous recommande l’IHEDN. C’est un institut de formation qui dépend du ministère des armées. J’en avais eu une première approche d’une semaine à Besançon quand j’étais en 2e année à Science Po. Nos journées étaient organisées autour de cours très variés sur l’Afghanistan, l’Irak, la défense française ou encore la dissuasion nucléaire.  En petit comité de 15 personnes, on travaillait sur un sujet en particulier : j’avais travaillé sur la piraterie dans les Pyrénées. Ce qui était intéressant était de profiter de tout un éventail de réflexions différentes car chaque participant avait un profil unique. Cela nourrit un réel travail de réflexion pluridisciplinaire sur la thématique de la défense. J’étais le plus jeune et cela m’a permis de me créer un réseau dans le secteur : ce qui est intéressant est de se regrouper entre jeunes intéressés par la défense, un peu partout en Europe, bien que tout soit centralisé à Paris. Cela permet aux jeunes de s’investir dans l’armée si l’envie est là.  

Qu’est-ce que ton statut de réserviste apporte à ton activité professionnelle actuelle ? 

Tout d’abord, il faut éviter tout conflit d’intérêt. L’objectif n’est clairement pas de faire de lobbying en interne dans l’armée de l’air. Il y a forcément un intérêt des deux côtés : cela renforce effectivement ma culture de l’armée de l’air (et de l’armée plus généralement) et m’aide à connaître l’organisation des armées. J’intègre ainsi des clés de lecture utiles pour mon job chez Preligens. Par exemple, dans mon premier poste, on m’assignait souvent à des thématiques industrielles ou numériques, parce que j’apportais une vision nouvelle : celle d’un réserviste ayant fait une école de commerce.

Journée type au travail, quelles sont les missions ? 

J’ai 3 casquettes. Tout d’abord je dois m’assurer que mes clients sont satisfaits : il y a un côté interface entre la société et les armées. Ensuite, je dois faire en sorte de signer des contrats sur des cycles assez longs et complexes. Il faut d’abord comprendre les besoins opérationnels, puis voir des unités de rafales, par exemple, qui pourraient être intéressées par l’IA pour optimiser leur fonctionnement et proposer une solution à leurs problèmes techniques. Enfin il faut mettre en œuvre une technique commerciale. 


Mon travail est aussi d’être coordinateur interne : gérer une équipe de 20 ingénieurs pour proposer la meilleure offre possible aux clients. C’est là qu’intervient mon activité de réserviste parce qu’il faut savoir parler le même langage que l’armée. Pour bien capter le besoin opérationnel, il faut le comprendre. Il y a tout un aspect de droit public pour savoir comment ça se passe réellement. 

Les semaines sont assez rythmées entre un lundi de coordination interne entre les équipes, puis deux ou trois déplacements par semaine dans les quatre coins de la France, ou un meeting diplomatique pour s’assurer que les décisions que l’on va prendre sont validées par les échelons supérieurs. Chez Preligens, nous participons à ce qu’on appelle les “projets du Jeudi” où l’on prend l’après-midi pour brainstormer sur de nouvelles idées et essayer d’entreprendre de nouvelles choses en équipe, éventuellement de nouvelles solutions, de nouvelles formations tant sur le domaine commercial que le domaine technique. 

Quelles sont les compétences requises pour travailler dans le secteur de la défense ? 

Il faut avoir une appétence pour la complexité et être suffisamment curieux pour s’intéresser à l’actualité mais aussi à tout ce qui touche à la technologie et aux algorithmes. Il faut aussi savoir poser les questions, être assez ouverts d’esprits. D’une certaine manière, il faut rentrer dans un monde qui est assez spécifique et assez complexe, et c’est ce que vous pouvez retrouver au sein de l’association Diplo’Mates. Il faut avoir un certain attrait pour tout ce qui est technologie et innovation. Enfin, selon moi, une qualité non-negligeable est la pluridisciplinarité. 

Faut-il nécessairement être pragmatique pour travailler dans ce secteur d’armement ? 

Je pense rester un grand idéaliste malgré mon parcours au sein de ce secteur. Il faut bien évidemment se fixer ses propres limites et lignes rouges et ne pas se dire que le monde est blanc ou noir. Ceux qui travaillent dans l’armement ne sont pas forcément les méchants et ceux qui travaillent pour des ONG ne sont pas forcément les gentils. 

Je crois qu’une carrière peut se construire sur des bases communicantes entre les secteurs privé et public et que ce n’est pas parce qu’aujourd’hui on travaille pour l’industrie que, demain, on ne pourra pas faire de la diplomatie économique pour le Quai d’Orsay par exemple. Ce sont des mondes assez spécifiques et il y a des richesses de chaque côté. Il y a en effet un côté pragmatique qui me plait dans le sens où l’on travaille dans la rapidité, il y a moins de process et moins de grosses machines. En même temps, à l’OTAN, on m’avait clairement dit de travailler dans le secteur privé avant de revenir. Dans le privé, on acquiert des compétences très utiles qui sont autant d’atouts pour retourner dans le secteur public 10 ans plus tard et faire de la diplomatie de défense.

Alors, il est évident qu’au regard de mon CV, il y a des choses que je ne pourrai pas faire. Si je veux postuler en ONG, on me demandera ce que je veux faire concrètement. De même pour l’ONU, dans le respect des droits de l’homme, j’aurai forcément moins d’expérience. Mais au-delà de l’expertise, je pense que le monde diplomatico-militaire est un monde très tourné vers l’international, mais aussi un monde de secrets et de cloisonnement.

Y a-t-il un rapport de force inégal et remis en question entre les entreprises privées et le ministère des armées? 

C’est un rapport de force qui est assez inégal, oui. Toutefois, Thalès n’a pas, par exemple, d’influence sur le secteur public. Thales, comme Airbus ou Dassault, bénéficient d’une contribution de la part du gouvernement français. La mission, en partie, de la DGA (Direction Générale de l’Armement) est de contribuer à faire vivre la BITD (la base industrielle de la technologie et de défense). Toute politique nationale est orientée vers ces grands groupes. Mais aujourd’hui dans Préligens (start up), on bénéficie également d’une contribution de l’Etat. 

Ensuite, c’est un rapport de force qui s’exerce de façon interne à l’entreprise. Thales a un pouvoir conséquent du fait de leur expertise et leur réputation. Mais de l’autre côté, il y a les petites startup qui, certes, n’ont pas le même pouvoir, mais sont assez innovantes et plus réactives.