La géopolitique ne s’attaque pas qu’à la terre, à la mer et à la glace, elle étend son champ jusque dans l’espace. L’enjeu était majeur et symbolique durant la Guerre froide, et il prend de nouvelles dimensions au XXIe siècle.
Une question de régulation
Il y a quelques jours, les Etats-Unis et le CNES signaient une convention sur la régulation de l’espace. C’est un grand pas dans l’histoire spatiale. Actuellement, hormis pour les satellites de télécommunication, les Etats et les grandes entreprises ont quasiment le champ libre dans l’espace. Et le problème majeur qui se pose alors est celui des collisions.
Pour éviter cela, des accords doivent être pris, et l’espace doit lui aussi devenir un espace régulé. Car contrairement à l’espace aérien, divisé en zones nationales, l’Espace lui est totalement libre d’accès, ce qui laisse place aux projets les plus fous. A l’image des nombreuses annonces du milliardaire Elon Musk d’envoi de milliers de satellites et de colonisation de Mars. Si aujourd’hui le nombre de débris de satellites n’est pas menaçant, qu’en sera-t-il demain ?
Les avancées technologiques nécessitent une nouvelle approche de la conquête spatiale, et il faut pour cela rassembler autour de la table des négociations les différents acteurs du jeu spatial (Etats, entreprises, agences spatiales…). La mise en place d’accords et d’une surveillance réciproque du respect de ces accords mettrait de l’ordre dans l’affaire.
Enjeux stratégiques et militaires
Bien qu’ils aient signé en 1967 des accords de non militarisation de l’espace, les Américains les considèrent aujourd’hui obsolètes, et Donald Trump a même annoncé l’année dernière la création d’une « armée de l’espace ». Un scénario de science-fiction qui révèle la nouvelle dimension dans laquelle le monde est entré. Une ère post Guerre Froide où les avancées techniques permettraient de mettre en place un arsenal militaro-spatial qui jusque là était inenvisageable. Et le manque de régulation spatiale représente une opportunité incroyable.
En France, la ministre des Armées a annoncé cet été la mise au point de deux programmes spatiaux, « Iris » et « Céleste », soulignant la lien important entre la politique spatiale et la politique militaire d’un Etat.
Au-delà de l’aspect militaire stricto sensu, la conquête spatiale par la mise en orbite de satellites a permis une amélioration considérable des techniques de renseignements. Ainsi, dans une logique de puissance par l’information, l’espace occupe une place primordiale. C’est pourquoi le budget des Etats-Unis alloué aux programmes spatiaux atteignait déjà en 2007 les 40 milliards d’euros annuels (soit 0,39% du PIB).
Du point de vue symbolique, la guerre stratégique qui a lieu dans l’espace est également prise en compte par les pouvoirs publics. Une opposition de softpower a lieu au-dessus de l’atmosphère, notamment pour les questions de géolocalisation. Le CNES (agence française), se félicite de la réussite de Galileo, une constellation de satellites qui, après avoir été dans un premier temps considérée comme un échec européen, permet aujourd’hui une précision bien supérieure à celle du GPS américain. Une grande victoire dans un monde multipolaire où chacun doit montrer sa capacité à rester dans le leadership mondial sur des questions militaires mais également commerciales, et techniques.
Un nouveau terrain de la guerre commerciale
Si jusqu’à présent les intérêts commerciaux étaient préservés par les Etats au travers des frontières terrestres et des ZEE maritimes, les nouveaux intérêts qui naissent dans l’espace se doivent eux aussi d’être défendus. Reste à savoir si l’on sera davantage dans une logique de coopération ou dans une logique de confrontation.
L’enjeu des télécommunications est bien sûr le plus évident. Toutes les entreprises qui utilisent ces réseaux ont intérêt à garder un œil sur l’ordre qui règne dans l’espace.
De nouveaux domaines commerciaux sont également à explorer : certaines entreprises commencent déjà à vendre des places pour de futurs voyages vers Mars. Le business de l’information est fleurissant. L’espace devient donc une ressource majeure pour le monde économique qui exerce lui-même un poids considérable sur les relations géopolitiques.
Il est évident que les progrès techniques et les évolutions sociétales amènent de plus en plus l’espace sur la table des négociations. Outre les enjeux militaires et de puissance qu’il revêtait déjà durant la deuxième partie du siècle dernier, les aspects commerciaux et informatifs pourraient prendre le dessus. Et de nouvelles formes de régulations devront être mises en place pour éviter les dérives des entreprises et des Etats souverains dans un espace qui pour l’instant se caractérise par son libre accès.
Sources
L’Espace, enjeu de puissance, Thierry Garcin
RFI, « Les règles de la diplomatie dans l’espace sont-elles les mêmes qu’au sol? », Marie Casadebaig
Numerama, « Renseignement spatial : la France officialise deux nouveaux programmes de satellites militaires », Julien Lausson
Leconomiste.eu, « L’économie spatiale »
RFI, « Jean-Yves Le Gall: «Il va falloir mettre en place une régulation dans l’espace» », Frédéric Rivière
Photos
http://www.rfi.fr/emission/20181030-regles-diplomatie-espace-sont-elles-memes-sol