Elève sur les bancs d’emlyon business school, puis de Sciences Po Paris et de l’ENA, Brice Fodda est aujourd’hui diplomate au Quai d’Orsay. Nous sommes revenus avec lui sur son parcours, ses choix d’orientation et son métier. Une rencontre inspirante.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Brice Fodda, j’ai 31 ans et je suis actuellement diplomate au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Après avoir intégré ce ministère il y a trois ans, je vais vivre ma première expatriation professionnelle à compter de septembre.
Qu’est-ce qui vous a poussé à préparer une carrière dans le secteur public ?
Jeune, j’étais effectivement assez loin du secteur public mais déjà sensible aux questions de création d’emploi : c’est cela qui m’intéressait quand j’avais 16-18 ans. Je me suis dit que pour créer des emplois, il fallait rejoindre le secteur privé. Originaire du Sud de la France, j’ai alors choisi de faire une prépa école de commerce au Lycée du Parc à Lyon, puis j’ai intégré emlyon.
Lors de mes stages, notamment en conseil en stratégie, j’ai alors découvert le secteur public et je me suis aperçu que l’Etat et les collectivités locales étaient aussi acteurs dans la création d’emploi. De plus, j’y ai trouvé une forme de transcendance qui m’a tout de suite attiré : on représente une institution qui dépasse les intérêts privés, une puissance publique.
À partir de ce moment-là, j’ai préparé Sciences Po Paris en parallèle de mes études à emlyon afin d’y intégrer le master affaires publiques. De fil en aiguille je me suis porté candidat à plusieurs concours administratifs, et j’ai été reçu à l’ENA. Dans le cadre de ma scolarité dans cette école, je suis notamment parti quelques mois à l’ambassade de France en Australie. Convaincu par cette expérience, je me suis dit que si jamais mon classement de sortie de l’ENA me le permettait, je choisirais la carrière diplomatique.
Quelles compétences acquises à emlyon vous ont aidé dans votre parcours ?
Contrairement à l’image ou le ressenti que l’on peut en avoir en tant qu’étudiant, on acquiert à emlyon des compétences, et notamment des savoir-faire très précieux : pour monter un projet, le présenter, communiquer… Ces compétences m’ont été essentielles tout au long de mon parcours, et le demeurent dans mes fonctions actuelles.
On apprend beaucoup à emlyon, mais on s’en rend surtout compte par la suite !
Par exemple, gardons à l’esprit que même s’ils nécessitent évidemment l’assimilation de nombreuses connaissances (en droit, économie, culture générale…) les concours administratifs, tels que l’ENA, sont surtout des concours de méthodologie : savoir bien présenter une idée, bien structurer un raisonnement est tout aussi, voire plus, important que la substance.
Pouvez-vous revenir sur votre formation à l’ENA ? Qu’est-ce qu’elle vous a apporté ?
La scolarité à l’ENA est une expérience unique, car on est entouré d’élèves, attirés par la fonction publique, qui veulent sincèrement servir la collectivité. C’est aussi et surtout une école de formation sur le terrain, puisque tous les élèves doivent suivre trois stages : en ambassade, en préfecture et en entreprise. Et ces trois stages, comme à emlyon, constituent la substantifique moelle de la formation.
Le plus impressionnant, à 25 ans, est sans doute la mise en responsabilité : en préfecture, vous pouvez être amené à exercer les fonctions d’un sous-préfet, vous assurez l’intérim du directeur de cabinet… C’est ça qui fait la spécificité de cette école.
Qu’est-ce qu’un conseiller au Quai d’Orsay ?
Plus d’une centaine de métiers différents se côtoient au Quai d’Orsay, et les conseillers sortis de l’ENA sont amenés à y exercer des fonctions diverses, donc à être polyvalents.
Par exemple parmi une multitude d’autres, je travaille actuellement au sein de la direction des affaires juridiques, où j’ai deux rôles. Le premier est de conseiller l’administration sur les problématiques que je suis, relatives aux relations extérieures de l’Union européenne : sa politique étran- gère, dont les régimes de sanctions, l’Europe de la défense, ainsi que tous les accords généraux, ou plus spécifiques, comme les accords commerciaux, conclu par l’Union.
Le second est celui d’avocat, puisque je représente la France devant les juridictions de l’Union.
“Ne pas avoir peur d’avancer par erreurs rectifiées : tout au long de mon parcours, on m’a expliqué que je ne faisais pas les meilleurs choix, qu’ils ne constituaient pas la voie royale”
Autre exemple, cet été je pars, pour ma première expatriation qui pourrait durer trois à quatre ans, à New- York, et plus précisément à la représentation permanente de la France auprès des Nations Unies. J’y exercerai des fonctions de conseiller juridique adjoint et de chef du pôle « influence française » au sein des Nations Unies, c’est-à-dire la francophonie, les élections aux Nations Unies, ainsi que le placement d’experts français dans les institutions onusiennes. Je passerai mes journées à négocier avec mes homologues de près de deux cents Etats.
Ce ne sont que des illustrations, puisqu’il n’y a pas de parcours-type. Tout au plus peut on dire que, la plupart du temps, les quatre premières années de la carrière se font en administration centrale, puis qu’un diplomate passe deux fois quatre ans en ambassade ou dans un consulat, avant de revenir à Paris puis de repartir à l’étranger, potentiellement selon le même schéma. On ne peut prétendre devenir ambassadeur, lorsqu’on est conseiller, qu’au bout de dix-sept à vingt ans de carrière.
Une journée type ?
Très schématiquement, en ce qui concerne le rythme de travail, la journée type d’un diplomate en début de carrière est 9h-19h30. Pour autant, il n’y a absolument pas de journée type, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé le matin. Cela dépend des événements de la nuit et de la journée. Même si, à la direction des affaires juridiques, une analyse juridique fouillée demande du temps et se prête mal à l’urgence, une actualité internationale nécessitera des réponses dans la journée.
Un conseil pour les étudiants qui souhaitent s’orienter vers les métiers de la diplomatie ?
Pour celles et ceux qui s’intéressent à cette carrière, il faut savoir qu’aujourd’hui le Quai d’Orsay figure parmi les administrations les plus demandées. À l’ENA, il faut être classé dans le premier tiers, voire le premier quart d’un classement assez incertain est devenu une condition sine qua non pour y prétendre.
Les concours du Quai d’Orsay sont tout aussi sélectifs. Difficile par conséquent de se dire au moment d’intégrer Sciences Po puis l’ENA que ce sera la diplomatie sinon rien… Une autre voie est celle des contrats : exercer les fonctions de diplomate pour quelques années. Les candidats sont nombreux mais les profils écoles de commerce peuvent être, dans certains services, très recherchés. En conséquence, si on veut exercer ces fonctions-là, ainsi que celles des autres métiers de la haute fonction publique, il faut jouer sa carte à fond.
D’abord, il ne faut pas se dire qu’à 25 ou 26 ans, il est trop tard.
Ensuite, pour réussir un concours pour devenir haut fonctionnaire, ou un entretien pour obtenir un contrat dans un ministère tel que le Quai d’Orsay, il faut vraiment s’y préparer, ne pas avoir peur du prestige et de la sélectivité drastique. Une bonne préparation démultiplie évidemment les chances.
La diplomatie est enfin un métier de vocation. Mieux vaut avoir conscience des sujétions : le diplomate, par définition, doit partir à l’étranger, quitter sa famille et ses amis, sortir de sa routine, et ce tous les trois ou quatre ans.
Vous qui avez un parcours très riche, avez-vous un conseil pour les étudiants qui auraient des difficultés à cadrer leur projet professionnel ?
Je ne suis qu’au tout début de mon parcours professionnel, il serait donc très présomptueux d’en dégager des conseils.
Pour autant, s’agissant à tout le moins du parcours académique, je crois qu’il ne faut pas avoir peur d’avancer par erreurs rectifiées : tout au long de mon parcours, on m’a expliqué que je ne faisais pas les meilleurs choix, qu’ils ne constituaient pas la voie royale.
A emlyon parce que je m’intéressais au secteur public, à Sciences Po pour mon intérêt aux collectivités locales et à l’ENA concernant mon attrait pour l’aménagement du territoire et la diplomatie.
Ecoutez les conseils, mais faites surtout ce qui vous intéresse. Il faut se fixer un horizon et ne pas craindre de l’atteindre à tâtons.
Propos recueillis par Alexis Pavy, journaliste de Verbatem