À entendre sans cesser parler de l’impact des technologies, reste à savoir en quoi nous sommes concerné.
Vous avez probablement tous entendu ces mots : Intelligence Artificielle (IA), l’Internet des Objets (IOT), Industrie 4.0 etc. D’autres vous échappent peut-être comme « Machine Vision », « Digital Twin » ou encore « Building Information Modeling » (BIM). De la sphère spécialisée, ces mots se sont propagés à la presse généraliste. L’avantage, faire connaître ces problématiques à un plus grand nombre de personnes; le risque, de perdre la précision des spécialistes. On ne cherche que rarement à comprendre ces détails, ce qui peut amener à faire des erreurs d’interprétation. En creusant, on se rend compte que l’on ne comprend ni le détail – le côté technique – ni la big picture – les enjeux qui découlent de ces technologies. Cet effort de compréhension est pourtant important parce que les nouvelles technologies – et l’IA en particulier – ont le potentiel de modifier le fonctionnement de notre société comme l’avance l’historien Yuval Noah Harari dans 21 Leçons pour le XXIe siècle (2018), où il émet des hypothèses quant à l’influence future de l’IA à l’échelle de l’humanité et des individus. Les domaines techniques ont en effet une portée telle qu’ils vont avoir un impact sur la vie de tout un chacun (si ce n’est pas déjà le cas). Ne pas se sentir concerné par ces questions est donc probablement une erreur. À ne pas chercher à comprendre ces mutations technologiques, le sentiment de perte de contrôle face à un monde en mutation où «tout va toujours plus vite» n’en sera qu’accentué.
Ne pas comprendre la technique, ne pas savoir l’utiliser, ne pas savoir la comprendre pour pouvoir investir dedans, est un gros handicap.
Ce type de raisonnement était notre point de départ dans la conception de ce dossier : donner le plus d’informations possible sur ce sujet pour mieux en comprendre les enjeux. Nous voulions également lever une objection qui semble à première vue légitime : pourquoi faire un dossier sur l’impact de l’IA pour les étudiants en école de commerce ? Est-ce réellement pertinent, dans la mesure où l’IA est une technologie complexe de sorte qu’une analyse trop détaillée de ce domaine risquerait de ne pas intéresser directement des étudiants en école de commerce (« pourquoi me renseigner dessus, de toute façon, je ne deviendrais pas ingénieur ») ? Inversement, une analyse trop générale de l’intelligence artificielle et des technologies n’aurait pas permis de comprendre les technologies en détail, et donc de se les approprier. Après tout, notre école n’est pas une école d’ingénieurs mais une école de commerce. Nous avons donc essayé, avec l’aide de nos connaissances et notre compréhension du domaine, de produire quelque chose d’utile : un guide pour étudiant(e) (ou futur étudiant(e)) en école de commerce sur les opportunités professionnelles liées à l’IA et aux technologies associées.
Les opportunités liées à l’IA
À la suite d’un entretien avec Eric David (ingénieur de formation avec un doctorat en physique, ancien directeur Industriel, directeur des Achats et directeur Logistique, professeur à emlyon business school en management des opérations et certains électifs sur l’IA), nous avons finalement trouvé une approche qui nous a semblée pertinente. Cette approche part d’un constat : en école de commerce, on apprend avant tout à être « généralistes ». On apprend les bases de nombreux domaines complémentaires pour pouvoir être un manager polyvalent et compétent ou pour créer sa propre structure (le marketing, la comptabilité, l’analyse financière, les recherches & analyse, la négociation, la gestion de projet, le « team work » etc.). C’est selon Éric David la force de nos études. Il y a même des cours d’informatique et une introduction au codage. Ce choix de cours montre bien le caractère généraliste de ces études et met également le doigt sur la question des connaissances techniques. Elles ne sont pas absentes de nos études mais n’y sont que modestement présentes. Les quelques cours d’Excel et de Word sont un début mais il y a beaucoup à gagner à les approfondir. De même, étendre la sphère de compétences à d’autres domaines techniques peut s’avérer être un véritable atout selon Éric David.
« Je pense qu’à l’avenir, il faudra apprendre le business en école d’ingénieurs et la technologie en école de commerce. Sinon, qu’allez-vous faire ? De l’audit comptable ? Vous n’avez pas besoin de faire un Bac +5 dans une des meilleures écoles pour ensuite aller auditer des comptes. Il faut être sérieux. Notre civilisation est extrêmement technique : elle utilise des moyens matériels, des objets, des systèmes qui sont très techniques. Ne pas comprendre la technique, ne pas savoir l’utiliser, ne pas savoir la comprendre pour pouvoir investir dedans, est donc un gros handicap. Depuis trente ans je pense que les études techniques de type ingénieur et les études business, doivent converger à terme. Alors est-ce qu’il faut faire des doubles diplômes, est-ce qu’il faut faire deux études successives, est-ce qu’il faut que les écoles fusionnent ? Je ne sais pas, il y a plusieurs possibilités. Mais je suis sûr que pour vous, à titre individuel, il faut étudier les deux. »
C’est la force du double diplôme, mais tout le monde ne choisit cependant pas cette voie. Ce n’est néanmoins pas le seul moyen de développer ses compétences dans des domaines techniques autres que le « business ». En effet, la technologie joue un rôle de plus en plus incontournable sur le marché du travail (la fintech en finance, le big data en marketing, le « digital twin » en management de la supply chain etc.). Comme pour les autres domaines, il ne s’agit pas pour une personne de cumuler toutes les casquettes. Les experts, les spécialistes ont leur place pour une bonne raison. Les tâches les plus spécifiques et complexes sont réalisées justement par la personne la plus compétente en la matière. Ainsi, le manager qui a suivi des études en école de commerce n’est pas celui qui va être confronté directement avec la programmation de l’IA. S’il a des connaissances mêmes très partielles du domaine il va pouvoir mieux comprendre cet enjeu et sa place dans l’organisation de l’entreprise. Il sera alors en position de coordonner le travail des différents spécialistes pour s’assurer qu’il est orienté dans l’intérêt de l’entreprise.
Ce type de raisonnement est plus facilement applicable à certains métiers que d’autres. En voici un exemple.
La gestion de projets
« Je pense que la première des pistes est la direction des projets; que ce soit un projet de diversification, un projet de mise en place de nouvelles technologies, un projet d’investissement, un projet de nouveau produit ou un projet d’une acquisition d’une startup. Ce sont tous de grands projets. Pour des personnes comme vous, qui avez fait des études [généralistes], c’est un métier extrêmement intéressant parce que vous êtes obligés de couvrir tous les sujets. Vous couvrez les sujets techniques, évidemment les sujets business car lorsque vous faites quelque chose, il faut que ça serve derrière pour le business, et il y une dimension de budget : combien ça coûte, combien ça rapporte, le retour sur investissement, donc une dimension financière. Une dimension humaine car il y aura du changement. Vous n’allez pas le faire tout seul, donc vous aurez des partenaires, il y a aura aussi une dimension juridique. En résumé, lorsque vous faites un projet, vous couvrez absolument tout. Je trouve que directeur de projet, est un métier extraordinaire. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire ça toute sa vie, mais si vous faites ça pendant quelques années, vous allez voir, vous allez tout apprendre. Quand vous avez été directeur de projet, vous avez fait plusieurs grands projets, vous allez savoir tout ce qu’il faut savoir sur une entreprise.
Vous pouvez commencez dès que vous avez le diplôme de l’école. Vous n’allez pas tout de suite être mis à la tête d’un projet de mille personnes, pas à vingt-cinq ans. Vous commencerez cependant à entrer rapidement dans des projets et on va vous donner des projets qui seront de plus en plus grands».
Ce type de carrière est adapté aux études en école de commerce de par sa multitude d’enjeux (et peut être très intéressant). Il soulève en outre une question cruciale, un point faible vis-à-vis de nos études. À être trop généraliste, on peut manquer des compétences nécessaires pour comprendre les enjeux d’un domaine particulier et travailler efficacement. Être très bon dans un domaine risque d’être discriminant sur le marché du travail. Mais être très bon dans un domaine ET avoir des compétences dans d’autres domaines sera utile à plus forte raison ; a minima parce que cela permettra de mieux communiquer avec les autres départements de l’entreprise.
Ce constat pose un problème : on ne peut pas tout faire en même temps. Devenir spécialiste en marketing (par exemple) et comprendre d’autres enjeux de l’entreprise prend plus de temps. Ce problème se pose surtout si on est dans une approche où la fin des études signifie la fin de l’apprentissage. Inversement, en dépassant cette approche, on se rend compte que les études en école de commerce nous donnent un socle solide, un point de départ qui nous permet de comprendre un vaste éventail d’enjeux. Ce socle peut être consolidé et l’on peut se spécialiser suivant les besoins tout au long de sa carrière là où quelqu’un qui a suivi des études d’expert peut se trouver bloqué dans son domaine. Être généraliste c’est donc réduire le risque que sa profession, son secteur d’expertise, soit «uberisé». Après tout, qui voudrait n’avoir qu’une corde à son arc ?
À l’heure actuelle, bien trop d’étudiants qui viennent en école de commerce ne savent pas quoi faire derrière.
« Je recommande d’être généraliste. C’est tout l’intérêt d’une business school car vous êtes très généraliste, vous connaissez le droit, la finance, le marketing etc. Et en plus si vous avez des compétences d’ingénieurs, techniques, vous avez des compétences généralistes extrêmement larges. Et ça c’est très intéressant.
Si vous avez une technologie très mûre, par exemple vous avez une compagnie maritime et vous voulez acheter un bateau; vous allez voir un chantier naval et leur demander un bateau. Vous savez ce que vous demandez et lui sait ce qu’il vous vend. Ça marche car l’activité est mûre. Mais avec les nouvelles technologies, ça ne marche pas comme ça.
Lorsqu’aujourd’hui vous mettez en place de la robotique, de la vision artificielle ou de l’IA; vous ne savez pas combien cela coûte, vous ne savez pas combien cela va vous rapporter, vous savez que cela comporte des problèmes mais vous ne savez pas lesquels. Vous allez découvrir les problèmes quand vous allez la mettre en place ; payer au début puis vous rendre compte qu’il faut payer plus. Vous allez peut être gagner de l’argent sur quelque chose que vous ne soupçonniez pas au départ. En fait, les projets d’aujourd’hui sont exploratoires, puisque la technologie n’est pas encore mûre. Vous faites un projet pour apprendre.
C’est très intéressant aujourd’hui d’avoir une culture générale et de faire de la direction de projet car vous allez mettre en place des choses et votre plus gros bénéfice dans le projet sera les retours. Vous ne faîtes pas le projet pour gagner de l’argent, mais vous faîtes le projet pour avoir des retours.
Être généraliste ne signifie pas ne rien savoir, vous pouvez prendre des décisions stratégiques et visionnaires si vous connaissez les détails pratiques. Si vous ne les connaissez pas, c’est juste du bla bla. Vous ne serez pas expert mais aurez la compréhension. »
L’entrepreneur ou le chef d’entreprise
Cette approche « généraliste » s’adapte de même très bien au poste de chef d’entreprise. Ce n’est pas un débouché juste après l’école de commerce à moins de créer sa propre entreprise. C’est d’ailleurs un choix de carrière mis en avant par emlyon. Ici encore, des connaissances dans de nombreux domaines seront très utiles. Les connaissances des différents outils technologiques et informatiques – voire même de l’IA – peuvent être un véritable avantage. Savoir coder son propre site internet représente une économie de coûts ; élément crucial dans les premières années. Ce n’est pas le cas pour une majorité d’entre nous, compte tenu de notre choix d’études. Sans aller aussi loin, avoir des connaissances et une compréhension de base des outils disponibles peut être utile. Il existe par exemple des programmes qui facilitent grandement la création de site internet. À être curieux et à étendre sa sphère de compétences, on peut accéder à plus d’opportunités.
Par où commencer ?
Être un généraliste peut être un atout pour certaines carrières. À plus forte raison, le généraliste qui continue d’apprendre et qui acquiert des compétences de plus en plus précises dans des sujets techniques est d’autant plus apte à répondre aux exigences du monde de l’entreprise. Ici, l’IA et les technologies peuvent être un ajout non négligeable aux compétences d’un étudiant en école de commerce. Ce n’est pourtant pas nécessairement clair de savoir quoi apprendre et comment cela va nous être utile. Après tout : « il y a un problème fondamental car ce sont des technologies et emlyon n’est pas une école de technologies. La première question que l’on pourrait déjà se demander, c’est : est-ce qu’il y a vraiment un rapport ? ». Cette objection invoquée à juste titre par Éric David au cours de l’entretien ne peut que difficilement être écartée.
« À l’heure actuelle, bien trop d’étudiants qui viennent en école de commerce ne savent pas quoi faire derrière. Mais, vous savez, je ne suis même pas sûr que le jour de votre remise de diplôme, vous aurez une vision très claire de votre métier. Tout viendra en fonction des opportunités. Ce qui est sûr, c’est que vous devrez toujours apprendre, vous devrez apprendre à changer pour faire des choses que vous ne saviez pas faire. Donc partez à l’aventure dès que vous voyez une opportunité, en vous disant « je vais apprendre ».
Je pense qu’à l’avenir, il faudra apprendre le business en école d’ingénieurs et la technologie en école de commerce.
Pour saisir ces opportunités, il faut être un gros travailleur; il faut avoir les yeux et les oreilles ouvertes. Il faut aller les chercher : lisez, renseignez-vous; cherchez. En règle générale, ne comptez pas trop sur les autres pour venir vous chercher. emlyon offre déjà de nombreuses opportunités pour se familiariser à des sujets techniques tel que l’IA. Ma recommandation principale, si vous êtes intéressés par ces technologies, puisqu’il y a des cours dans l’école, inscrivez-vous aux cours proposés. Honnêtement les cours de M. Savinien sont très bien, notamment son certificat. Si vous voulez un cours d’introduction, il y a un cours qui s’appelle “Artificial Intelligence for Business Applications ”, on est plutôt dans la partie : “ quelles sont les retombées économiques ? Comment conduire un projet qui est encore un peu flou ? ”. Après si vous vous intéressez aux retombées sociales, politiques, philosophiques, il y a des cours comme cela aussi. Tous ceux intéressés par ces techniques devraient s’inscrire à au moins l’un de ces cours-là. »
En ce qui concerne la compréhension des enjeux techniques liés à l’IA, le AIM institut (Artificial Intelligence in Management) de l’emlyon organise un cycle de conférences (retransmises sur la chaîne Youtube de l’école) où des spécialistes, des chercheurs et des personnes qui travaillent avec ces technologies viennent en parler, expliquer leur fonctionnement, etc. C’est un moyen de s’initier aux enjeux de ces technologies, un socle qui permet de comprendre le sens des termes récurrents et leurs interactions entre eux. Ces conférences peuvent servir de point de départ pour en apprendre davantage par soi-même. Le Learning Hub est le parfait outil pour atteindre cet objectif. On y trouve une rubrique dédiée à l’intelligence artificielle (et à d’autres questions technologiques telles que le blockchain ou le big data). Elle comprend des livres et des manuels sur le sujet ainsi que d’autres ressources utiles. Il n’est jamais trop tard pour commencer et cela peut être utile pour la suite.
« Il y a forcément un moment, où une technique est nouvelle, n’est pas forcément mûre, mais commence déjà à fonctionner. À ce moment-là vous devez apprendre à vous en servir car si vous allez trop vite, vous allez faire une bêtise mais si vous n’y allez pas du tout, à ce moment-là vous êtes dépassé. Vous étudiants, apprenez tenez vous au courant.
[…]
Vous serez amenés à y réfléchir et à avoir une influence. Vous avez un devoir car ce que vous allez faire en tant que décisionnaires dans les entreprises dans le futur va avoir une influence, si ce n’est sur l’ensemble de la planète, au moins sur l’ensemble de la communauté humaine. Vous aurez un impact. Donc posez-vous des questions, prenez du recul à propos de ces nouvelles technologies : comment moi, en mon âme et conscience, puis-je avoir une influence sur l’ensemble du système en utilisant du mieux possible l’ensemble de ces techniques ? Si on le fait n’importe comment on fera des bêtises. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »comme disait Rabelais. Mettez un peu de conscience dans toute la dimension business dans votre utilisation de l’ensemble de ces techniques.
Si on s’intéresse à ces nouvelles technologies, demandez vous quels sont les grands enjeux du monde dans les cinquante, cent années à venir. Vous avez des enjeux de santé, d’alimentation, de transport, d’éducation. La liste des grands problèmes de l’humanité, des problèmes d’énergie, des problèmes de matériaux. Vous pouvez en citer une dizaine qui sont les problèmes que le monde va avoir à résoudre dans le siècle qui vient. Les tee-shirts connectés ne rentrent pas dans ces grands problèmes. Posez vous les bonnes questions. Si ce sont les bonnes questions, il y aura du business, et s’il y aura du business, il y aura de l’emploi, et s’il y a de l’emploi vous aurez quelque chose à y faire à titre professionnel.
Si vous vous demandez si votre vie a un sens, contribuez à résoudre certains grands problèmes, c’est quand même beaucoup plus intéressant que d’avoir inventé des tee-shirts connectés. (…) Donc essayez de prendre du recul et de dire « comment moi, dans ma vie professionnelle, vais-je vivre l’impact de ces nouvelles technologies dans le cadre de la résolution de ces grands problèmes qui se posent à tous les échelons (régional, national, mondial). » C’est certainement dans ce domaine-là qu’il y a des choses intéressantes à faire car ça va donner un sens à votre carrière mais également un sens à votre vie. Sinon vous allez en rester à quelque chose de très superficiel, de très versatile, de très opportuniste et finalement qui n’aura peut être pas un très grand intérêt.
L’emlyon offre déjà de nombreuses opportunités pour se familiariser à des sujets techniques tels que l’IA.
Intéressez-vous de près à des technologies mais en même temps apprenez à les regarder avec distance, avec esprit critique, avec lucidité. Au fond il serait maladroit de les ignorer et maladroit d’avoir la tête dans le guidon.
« On doit en être à la centième révolution industrielle, et à chaque fois les mêmes questions se reposent. »
Il semble évident qu’à l’avenir, les étudiants en école de commerce seront presque obligés d’avoir des connaissances relativement poussées dans ces nouvelles technologies, les enjeux, les opportunités, les défis, les dangers, etc. De nombreuses opportunités de carrière vont émerger grâce à l’IA mais il faut être capable de les saisir. Pour ce faire, il faut avoir les yeux et les oreilles ouvertes. Il faut aller chercher les opportunités.