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L’effet Greta Thunberg est-il efficace ?

Par Sarah Canivet, membre de Diplo’Mates

À tout juste 17 ans, la jeune suédoise occupe le devant de la scène internationale grâce à ses nombreuses actions contre la crise climatique. Mais depuis sa première grève en 2018, a-t-elle vraiment fait bouger les choses ?

« Greta Thunberg suscite l’emballement émotionnel », L’Obs

Greta Thunberg est devenue, en seulement 1 an et demi, un personnage clef de la lutte contre le changement climatique. Critiquée à propos du fait qu’elle serait atteinte du syndrome d’Asperger ainsi que de troubles obsessionnels compulsifs, la jeune militante a su revendiquer cet autisme comme un « super-pouvoir », et suit les pas de sa mère – chanteuse d’opéra nommée Héro de l’Environnement WWF Sweden en 2017 – avec un engagement tout particulier depuis ses 9 ans. C’est en août 2018 que Greta se fait remarquer en faisant grève devant le Parlement suédois au lieu d’aller à l’école : elle réclame de véritables actions de protection de l’environnement.

“On n’est jamais trop petit pour faire une différence.”

Aujourd’hui très médiatisée, Greta est invitée partout : elle parle à l’ONU et Davos en 2019, aux COP24 et COP25, partage le petit écran dans la grande émission The Ellen Show, 1er talkshow américain en termes d’audience, et rencontre de nombreux dirigeants et personnalités de tous bords tels que Barack Obama, Emmanuel Macron ou encore le Pape François. Elle prononce même des discours devant la Chambre des Communes britannique et est invitée avec la co-directrice du GIEC à parler devant les députés français au Palais Bourbon. En 2019, les prix se succèdent : après la cover du Time Magazine en Mai dernier, Greta devient la Personnalité de l’Année (Time), mais également Ambassadrice de la Conscience (Amnesty International) et est proposée au Prix Nobel de la Paix. Comment a-t-elle réussi à imprimer sa marque dans les débats sur l’écologie ?

La force du « Name & Shame » et des réseaux sociaux
Greta Thunberg à l’ONU, 23 Septembre 2019 (photo AFP)

« L’effet Greta Thunberg », comme les journalistes aiment l’appeler, repose principalement sur le principe du Name & Shame : pointer du doigt les différents acteurs pour ne pas respecter leurs engagements envers la planète. Toute la force de cette méthode réside dans sa médiatisation. Avec près de 4 millions de followers sur Twitter et 9,7 millions sur Instagram, Greta a vite imposé son discours sur les réseaux sociaux, notamment à coup de hashtags comme #ClimateStrike et #FridaysforFuture qui ont inspiré plusieurs mouvements de grande ampleur. Greta les rejoint d’ailleurs régulièrement pour manifester, devant le Parlement européen à Bruxelles avec Rise for Climate ou encore à Londres avec Extinction Rebellion.

“My message is: we’ll be watching you”

Cette tactique touche fortement la jeune génération. Au total, en novembre et décembre 2018, on compte plus de 20 000 étudiants en grève dans au moins 270 villes à travers le monde, principalement en Europe et en Amérique du Nord. C’est le cas de nombreux étudiants australiens qui, à l’image de la jeune suédoise, ont décidé de ne pas aller en cours pour manifester, ce qui a légèrement agacé Scott Morrisson, PM australien :

“Ce que nous voulons, c’est l’apprentissage dans les écoles et moins de militantisme.”

En effet, Greta ne se fait pas que des amis. Bien qu’elle ait compté Justin Trudeau dans ses rangs lors de la grève du 27 Septembre dernier à Montréal – un demi-million de personnes dans les rues ce jour-là – ses soutiens restent majoritairement les jeunes.

« Avoir le droit à un futur »

Voilà ce que revendique Greta. Ce discours résonne fortement chez la Génération Z : selon une étude, 66% des jeunes nés en 1995 et après pensent que les communautés sont créées autours de grandes causes et non autour de niveaux économiques ou d’éducation. Ainsi, par sa forte médiatisation, Greta est devenue le catalyseur de toute une génération. De plus, selon Sparks & Honey consulting group, 60% des Gen Z ont la volonté d’agir, soit bien plus que les 39% de millenials (né entre 1980 et 1995). De façon plus concrète, la visibilité apportée par Greta à la cause écologiste est mesurable de nombreuses façons : ses discours sont repris par des artistes divers tels que Björk, Shaka Ponk ou encore Fatboy Slim. En 1 an, on a également noté le doublement du nombre de livres pour enfants ayant pour thème la crise climatique ou la nature. Suite aux récentes crises en Amazonie et actuellement en Australie, c’est également chez les jeunes que l’on observe une pléthore de crowdfunding.

“Vous ne pouvez ignorer les scientifiques !”

Elle ne cesse de le répéter, mais ce discours ne prend pas autant chez les dirigeants. « L’effet Greta Thunberg » semble être limité et se heurte régulièrement à de nombreuses critiques.

C’est « irréaliste et inefficace » (B. Lomborg, statisticien danois)
Trump au congrès « Unleashing American Energy » suite à la sortie des Accords de Paris, (Susan Walsh/AP)

Critiquée et moquée, notamment en Italie après sa visite au Pape François, Greta est souvent taxée de « gourou apocalyptique » ou de « Prix Nobel de la Peur » par de nombreuses personnalités. Pour beaucoup en effet, son discours, creux, n’est que la réussite marketing de l’année. Selon plusieurs experts, bien qu’efficace, la stratégie de communication de Greta ne consiste qu’à faire du buzz et manque cruellement de solutions concrètes ou d’éclairages nouveaux sur la question écologique. En somme, une simple reprise des rapports scientifiques qui n’incite guère les leaders internationaux à l’action.
Ici repose la principale faiblesse de « l’effet Greta Thunberg » : le succès de l’entreprise repose à 100% sur le bon vouloir des dirigeants. Or, sans aucune coercition, ce succès ne peut qu’être partiel. Par exemple, suite à la sortie des Etats-Unis des Accords de Paris, l’électorat de Donald Trump ne donne aucune conséquence à cette décision. Ainsi, la jeune suédoise ne peut séduire que le public qui lui est déjà acquis: l’Europe – presque uniquement. Malgré tout, la prise de conscience fait son chemin et prend forme. De fait, c’est par la voie de la judiciarisation que l’action peut s’avérer avoir des conséquences concrètes.

“L’Affaire du Siècle !”
Greta en tête du cortège de Montréal avec sa pancarte « Skolstrejk för Klimatet », 27/09/19 (photo Reuters)

Voici ce qu’on peut lire sur le site officiel de l’Affaire du Siècle, le principal recourt en justice contre l’Etat français pour inaction: « Quatre organisations d’intérêt général assignent l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Leur objectif est de faire reconnaître par le juge l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, afin de protéger les Français.es face aux risques induits par les changements climatiques. »
À cette plainte s’en ajoutent d’autres: Greta Thunberg et la population mondiale ne se contentent pas d’exhorter les dirigeants au changement, ils les y forcent. Suite à son discours à l’ONU le 23 septembre dernier, Greta Thunberg s’était alliée à une plainte devant la Commission du Droit des Enfants à l’encontre de 5 pays – dont la France – pour leur manque d’action dans le cadre des Accords de Paris. La judiciarisation de l’inaction des différents acteurs face à la crise climatique devient doucement le nouveau fer de lance du mouvement, mais à ce jour peu de décisions ont été rendues.

Le bilan reste donc mitigé : entre éveil des consciences et inaction persistante, Greta Thunberg a toute une carrière politique devant elle.